Un médicament contre l’addiction au cannabis ?


Bordeaux, France – Le candidat-médicament au mécanisme total inédit dans le cerveau – nom de code AEF0117 – est-il LE médicament contre l’addiction au cannabis ? L’enthousiasme est né de la publication des résultats de la phase 2a d’un essai clinique qui évalue son efficacité chez des patients présentant un trouble d’usage du cannabis dans Nature Medicine[1]. Non seulement, le AEF0117 atténuerait les effets du cannabis, mais il diminuerait aussi l’envie de consommer et ce, sans provoquer d’effet de sevrage. De quoi susciter un engouement important dans la communauté scientifique et médicale. Explications.

« Avant 8% des usagers de cannabis développaient une addiction, aujourd’hui ils sont 15%. L’addiction au cannabis est devenue le premier motif de consultation dans les centres spécialisés », explique le Dr Pier Vincenzo Piazza, psychiatre et neurobiologiste, directeur général d’Aelis Farma, la société biopharmaceutique qui développe AEF0117.

La différence s’explique par la teneur en THC du cannabis qui est passé de 5% dans les années 1970 à 30 % aujourd’hui. Si le cannabis entraîne toujours moins d’addiction que le tabac (33% des consommateurs deviennent toxicomanes) ou que la cocaïne, l’héroïne ou l’alcool (25 % des consommateurs deviennent toxicomanes), le nombre de consommateurs de cannabis est si important que l’addiction au cannabis concerne de plus en plus d’individus. Ils seraient 14,2 millions aux Etats-Unis, plus d’un demi-million en France.

Inhibition partielle d’un récepteur cérébral

AEF0117 est lepremier inhibiteur spécifique de la signalisation du récepteur CB1 (CB1-SSi). Le THC agit sur le cerveau par l’intermédiaire des récepteurs cannabinoïdes CB1 situés sur les neurones. L’inhibition totale des récepteurs CB1 a longtemps été une piste de recherche mais les effets indésirables engendrés par les antagonistes des récepteurs CB1 sont incompatibles avec une approche thérapeutique.

« On pensait que la modulation d’une partie d’un récepteur par une molécule était impossible. Or, en 2014 nous avons découvert ce mécanisme naturel inattendu justement au niveau des récepteurs cannabinoïdes CB1 », se rappelle Pier Vincenzo Piazza, interrogé par Medscape édition française. A cette époque, il était encore le directeur du neurocentre Magendie (Inserm) à Bordeaux. Avec ses collègues, il met en évidence qu’en réponse à des fortes doses de THC, une hormone, la prégnénolone, était synthétisée, se fixait sur les récepteurs CB1, ce qui diminuait certains des effets du THC. La découverte de ce nouveau mécanisme donne lieu à un article dans Science en 2014 [2].

« Ensuite, on a mis deux ans pour créer une molécule synthétique qui mimerait les effets de la prégnénolone sur les récepteurs CB1 », poursuit le chercheur. A la différence de la prégnénolone, il fallait que la nouvelle molécule soit bien absorbée, stable et ne soit pas transformée en d’autres stéroïdes.

« Triple effet Kiss Cool »

AEF0117 a été évalué dans le cadre d’une étude de phase 2a contrôlée en double aveugle. Les participants étaient des volontaires consommateurs de cannabis présentant une addiction. Dans le groupe traité, les volontaires ont reçu soit 0,06 mg (n = 14) soit 1 mg (n = 15) du candidat-médicament.  Il en ressort qu’AEF0117 réduit de façon significative les effets subjectifs positifs du cannabis (19% pour la dose 0,06 mg et 38% pour la dose 1mg en comparaison au p<0,04) mais aussi la consommation de cannabis mesurée par l’auto-administration (p<0,05). Il n’y a pas eu d’effets indésirables liés au traitement en comparaison au placebo. De plus, les réductions des effets du cannabis n’ont pas été à l’origine de troubles du sevrage du cannabis, même chez les volontaires qui fumaient plusieurs grammes de cannabis par jour.

« Je parle d’un triple effet Kiss Cool : diminution des effets positifs du cannabis, diminution de l’envie de consommer et absence de syndrome de sevrage liée à l’inhibition partielle des récepteurs » résume le Dr Piazza.

« L’effet psychoactif anxiolytique manque beaucoup aux patients lors de l’arrêt du cannabis. C’est ce qui rend problématique l’arrêt du cannabis. Se débarrasser de cet effet « lune de miel » avec le produit est une avancée considérable », indique le Dr Guillaume Davido (psychiatre spécialisé en addictologie, hôpital Bichat, Paris). Invité à commenter ce travail par Medscape édition française, il estime, que lorsque la molécule AEF0117 pourra être prescrite, ce dont il ne doute pas, il faudra aussi une prise en charge psychothérapeutique, à l’instar du traitement de l’addiction à l’alcool qui associe médicament et thérapie comportementale et cognitive (TCC). La TCC est aujourd’hui le seul traitement recommandé du trouble d’usage du cannabis.

Le psychiatre parisien rappelle qu’aujourd’hui les cliniciens ne disposent pas de traitement approuvé spécifique pour traiter le trouble de l’usage du cannabis. « Actuellement, on donne des traitements médicamenteux pour les effets du sevrage, à savoir l’irritabilité, les troubles du sommeil et l’anxiété ».

Un nouvel essai en cours de recrutement

Une étude de phase 2b a débuté aux Etats-Unis où le recrutement de 330 participants souffrant d’addiction au cannabis est en cours jusqu’en octobre dans onze centres. Les trois doses évaluées dans ce nouvel essai, réalisé en collaboration avec le Columbia University Irving Medical Center, seront d’environ 1 mg. « On avait testé deux doses très différentes (0,06 mg et 1mg) d’ AEF0117 car chez l’animal des doses très faibles sont capables de bloquer quelques effets du cannabis », explique le Dr Pier Vincenzo Piazza. Avant de poursuivre : « Mais on se rend compte qu’ il faut une dose plus importante pour stopper l’envie de consommer».

Les résultats devraient être disponibles d’ici mi-2024. « Si l’effet thérapeutique se confirme, c’est toute une nouvelle pharmacologie des récepteurs qui s’ouvre à nous », s’enthousiasme-t-il d’avance.

Source : AT


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