La piste des anticorps neutralisants à large spectre (ou bNAbs pour broadly neutralizing antibodies), explorée dans l’infection VIH chez l’adulte, se révèle encourageante aussi chez les enfants. C’est ce à quoi conclut une petite étude de phase 1/2 chez 25 enfants au Botswana, l’une des premières sur l’intérêt des bNAbs en pédiatrie. Cette étude, appelée Tatelo (ce qui signifie « la prochaine chose » en langue bantoue tswana), est publiée dans « Science Translational Medicine ».
L’administration une fois par mois d’un cocktail de deux bNAbs a permis de maintenir la suppression virale chez près de la moitié des enfants traités précocement par antirétroviraux (ARV). Cette preuve de concept suggère que, dans une population pédiatrique, les anticorps neutralisants à large spectre pourraient aider à supprimer le réservoir viral et renforcer l’effet protecteur des antiviraux.
« Chez des personnes traitées par antirétroviraux puis par bNAbs, on a pu observer une modification de la qualité des cellules réservoirs, avec notamment la disparition des cellules porteuses d’un virus reproductif », rapportait dans nos pages Asier Sáez-Cirión de l’Institut Pasteur pour l’adulte.
Des enfants traités par antirétroviraux à la naissance
Avec une administration plus espacée, le potentiel est particulièrement intéressant en pédiatrie compte tenu des difficultés liées à la prise quotidienne médicamenteuse, à la fois en termes de tolérance et de faible choix de formulations pédiatriques. « Les enfants sont des candidats idéaux pour des stratégies limitant le recours aux antirétroviraux, afin d’améliorer les toxicités à long terme et les questions d’observance liée à la prise journalière », écrivent les auteurs. Environ 1,7 million d’enfants vivent avec le VIH dans le monde.
L’équipe américaine coordonnée par Roger Shapiro (école de santé publique T.H. Chan à Harvard) a inclus des enfants traités par ARV avant l’âge de sept jours de vie et depuis au moins 96 semaines (âgés en médiane de 3,6 ans). Tous les participants avaient une virémie indétectable dans les 6 mois précédents, la moitié n’avait jamais eu de virémie détectable (≥40copies/ml).
Dans l’essai, les petits patients étaient d’abord traités à la fois par ARV (prise quotidienne) et bNAbs (une fois par mois), pendant au moins deux mois (six ont pris les deux pendant 8 mois afin d’évaluer la pharmacocinétique et la tolérance). Puis a suivi une période par bNAbs seuls, jusqu’à échec virologique (>400 copies/ml) et sinon au maximum pendant 6 mois.
Des marqueurs de réponse favorable
Onze participants (44 %) ont maintenu leur virémie en dessous de 400 copies/ml pendant les 24 semaines de traitement par bNAbs seuls, les 14 autres (56 %) ont présenté un échec virologique en médiane à 4 semaines. Les chercheurs ont pu identifier des marqueurs de réponse favorable, comme avoir présenté peu après la naissance un faible taux d’ADN viral total et un plus petit réservoir viral dans les cellules immunitaires.
Pour les auteurs, leurs résultats confirment le potentiel de cette approche en pédiatrie et offrent, pour les futurs essais, « une méthodologie pour sélectionner facilement les participants ayant le plus de chance de succès ». Pour les Drs Maud Mavigner et Ann Chahroudi, pédiatres à la faculté de médecine Emory (Atlanta), cette étude, à laquelle elles n’ont pas participé, génère autant « d’enthousiasme » qu’elle suscite de « nouvelles questions et hypothèses », par exemple sur le timing idéal de l’administration des bNAbs, en particulier par rapport au traitement par ARV, écrivent-elles dans un commentaire associé.
Source : Dr Irène Drogou