Vaccins contre le mpox: le MVA sera-t-il suffisant?


Même si le vaccin antivariolique de 3ᵉ génération s’est avéré efficace contre le mpox, il n’existe actuellement aucun corrélat de protection clair pour les vaccins contre les poxvirus, bien que la réponse humorale semble être essentielle.

Par Jean-Daniel Lelièvre

Les anticorps neutralisants sont considérés comme un corrélat de la protection contre la variole, mais les résultats sont controversés1. En effet, dans différentes études, des contacts non vaccinés et présentant des niveaux d’anticorps aussi faibles que ceux qui ont contracté la variole n’ont pas développé la maladie2. En outre, aucun des contacts vaccinés, même sans anticorps neutralisants détectables, n’a développé la variole. Ces résultats indiquent que le niveau d’anticorps humoral au moment de l’infection n’est peut-être pas le seul facteur permettant de prédire l’infection. Néanmoins, bien qu’il n’existe pas d’essais cliniques randomisés, les données disponibles montrent que l’immunoglobuline antivariolique administrée par voie IM prévient l’infection chez les sujets présentant des contre-indications à la vaccination avec les vaccins contre les poxvirus de première et de deuxième génération3.

Les primates non-humains (NHP) représentent les meilleurs modèles d’infection par le mpox et les vaccins contre les poxvirus ont toujours montré leur efficacité dans ce modèle4. Le rôle important de la réponse anticorps dans la protection a été confirmé chez le NHP, où la déplétion des cellules B – entraînant la disparition des anticorps circulants – après la vaccination a aboli la protection contre l’infection IV par le virus de la variole du singe5. Dans le même modèle, la déplétion des cellules T CD4+ et CD8+ n’a pas le même effet. Enfin, dans un modèle d’infection tardive, 3 ans après la vaccination, il semble qu’aucune corrélation ne soit observée entre l’immunité cellulaire spécifique du VV avant la provocation et le pic de virémie après la provocation6. L’immunité innée pourrait jouer un rôle dans la protection précoce induite par la vaccination. Il a été montré que l’injection du vaccin MVA est associée chez l’homme et l’animal à l’induction d’une forte réponse immunitaire innée, notamment de type interféron, ce type de réponse non spécifique étant capable de contrôler les infections virales. Cette induction est bien supérieure à celle constatée à l’administration de vaccins anti-virus de deuxième génération7

Des essais cliniques ont montré que la vaccination par MVA induisait des niveaux élevés d’anticorps neutralisants 14 jours après la seconde vaccination8(tableau 3). Dans un essai mené sur 1600 volontaires en RDC, Petersen et al. ont montré que dans les populations naïves, la réponse en anticorps de liaison était faible à J14, n’atteignant un pic qu’à J42 (c’est-à-dire 14 jours après la seconde dose), la réponse neutralisante suivant la même cinétique9. Alors que la plupart des études ont rapporté que les niveaux d’anticorps étaient significativement plus bas à J14 qu’à J42 (tableau 3), Pitman et al. ont trouvé une séroconversion en termes d’anticorps neutralisants de plus de 90%, 14 jours après la première injection10

EtudeSujetsN=J 7-14J 28J 42
POX-MVA-005Sains18345.1 (37.7 – 52.6)56.7 (49.1 – 64)89.2 (83.7 – 93.4)
POX-MVA-008Sains
Atopiques
194
257
5.4 (2.6 – 9,8)
5.6 (3.1 – 9.3)
24.5 (18.6 – 31.2)
26.8 (21.4 – 32.7)
86.6 (81 – 91.1)
90.3 (86 – 93.6)
POX-MVA-009Sains6612.1 (5.4 – 22.5)10.6 (4.4 – 20.6)82.5 ( 70.9 – 90.9)
POX-MVA-011Sains
PVVIH
88
351
11.1 (5.2 – 20.0)
15.7 (11.9 – 20.1)
20.9 (12.9 – 31)
22.5 (18.1 – 27.4)
77.2 (66.4 – 85.9)
60.3 (54.7 – 65.8)
POX-MVA-013Sains2119NRNR99.8(99.5 – 99.9)
Pittman et al.Sains22090.8100

Tableau 3 – Taux de séroconversion (anticorps neutralisants contre la vaccine)
chez les sujets non préalablement vaccinés contre la variole 
(PRNT et IC à 95 % – https://www.fda.gov/media/131870/download )

La vaccine est généralement utilisée comme virus cible pour déterminer la réponse anticorps après la vaccination MVA, le test de neutralisation par réduction de la microplaque (PRNT) étant le test de référence pour la détection et la quantification des anticorps neutralisants de la vaccine11. Cependant, le PRNT utilisant la vaccine prend beaucoup de temps et nécessite un laboratoire adapté à la sécurité. C’est pourquoi un nouveau test basé sur un vecteur du virus de la vaccine Ankara (MVA) modifié exprimant la protéine fluorescente verte (MVA-gfp) a été mis au point12. Zaeck et al. ont récemment effectué une analyse complète de la réponse humorale ciblant la vaccine, le MVA et le mpox après l’infection et la vaccination avec MVA-BN®13 Dans leur étude, ils ont étudié l’induction d’anticorps neutralisants contre ces 3 virus chez des sujets i) vaccinés pendant l’enfance contre la variole, ii) infectés par mpox, iii) récemment vaccinés avec MVA-BN®, iv) vaccinés avec MVA-H5, un vaccin antigrippal utilisant MVA comme vecteur viral. Ils ont montré que chez les sujets non vaccinés dans l’enfance contre la variole, le vaccin MVA-BN® était un bon inducteur d’une réponse neutralisante contre le MVA ou contre la vaccine, mais un mauvais inducteur d’une réponse contre le mpox, avec une neutralisation croisée limitée des sérums obtenus à partir du MVA-vacciné et du mpox. Par ailleurs, compte tenu du rôle important de l’induction d’une réponse anticorps neutralisante contre le mpox, les résultats disponibles dans cette étude de l’essai clinique sur la grippe avec le MVA-H5 suggèrent qu’il est préférable de retarder le délai entre les deux doses de vaccin afin d’améliorer cette réponse, puisque le pourcentage de sujets ayant séroconverti (33 vs 100) et le taux d’anticorps (14 vs 85) sont beaucoup plus élevés lorsque les doses sont espacées d’un an par rapport à un délai d’un mois.

Collectivement, ces résultats suggèrent donc qu’il faut considérer l’induction d’anticorps neutralisants contre la vaccine – ou MVA – comme un corrélat possible de la protection, mais pas comme un corrélat mécanistique de celle-ci14.

Si les réponses humorales peuvent être importantes, les réponses des cellules T peuvent également avoir un impact sur l’évolution des infections par les orthopoxvirus 15. Cependant, on ne sait pas dans quelle mesure les réponses immunitaires cellulaires humaines induites par la vaccination VACV – à savoir MVA – ont une réaction croisée avec mpox. En utilisant de grands pools de peptides pour mesurer les réponses des cellules T CD4+ et CD8+, Grifoni et al. ont identifié 318 épitopes de cellules T CD4+ et 659 épitopes de cellules T CD8+ dérivés des OPXV. Ils ont montré que 78% des épitopes CD4+ et 36% des épitopes CD8+ étaient associés à des réponses chez l’homme et que les épitopes CD4+ et CD8+ étaient très conservés, 94% et 82%, respectivement, étant conservés à 100% dans le mpox16. Bien qu’ils aient étudié les réponses des cellules T après la vaccination avec Dryvax®, leurs résultats suggèrent que le MVA-BN devrait être capable d’induire des cellules T qui reconnaissent également le mpox et peuvent fournir une protection contre la maladie grave.

De plus, les dernières épidémies prenant l’allure d’une IST il serait souhaitable d’étudier les réponses des muqueuses. Celles-ci ont été peu étudiées après vaccination par des vaccins contre les poxvirus. Il faut cependant noter que dans les études post RV144 (essai de vaccination VIH associant un vaccin protéique et un vaccin canarypox) un boost avec le vaccin poxvirus n’a pas été capable d’induire une réponse anticorps au niveau de la muqueuse anale17.

Durée de la protection et calendriers de vaccination

Un autre point important est la durée de la protection. Des études réalisées à l’époque de la vaccination antivariolique, lorsque les virus de la variole et de la vaccine étaient encore en circulation, ont suggéré que l’immunité protectrice contre la variole diminuait 5 à 10 ans après l’inoculation de la vaccine18. Cependant, de nombreuses études montrent que les personnes qui ont été infectées par la variole dans leur enfance conservent des niveaux élevés d’anticorps contre la vaccine19. Il est intéressant de noter que ces personnes ont également des niveaux significatifs d’anticorps neutralisants contre le mpox avant toute infection par ce virus20. Crotty et al. ont également montré que si le taux de cellules B mémoires anti-vaccinales diminuait rapidement après la vaccination, il était susceptible de persister pendant très longtemps (> 60 ans)21. Enfin, l’étude de Hammarlund et al. a montré que 90 % des personnes vaccinées avaient encore des cellules T CD4 ou CD8 produisant de l’IFN-g spécifique de la vaccine 25 ans après la fin de la campagne de vaccination22. Combadière et al. ont également montré que, bien que les réponses mémoires prolifératives à la vaccine aient persisté chez 72 % de la population vaccinée pendant l’enfance et n’aient pas été influencées par l’âge ou les rappels de vaccin, une réponse IFN-g supérieure au seuil des témoins non exposés non vaccinés n’a été détectée que chez 20 % des sujets et a diminué après l’âge de 45 ans, indépendamment des rappels de vaccin23. Ces résultats expliquent les recommandations actuelles d’administrer une seule dose de vaccin pour prévenir l’infection par le mpox chez les sujets ayant des antécédents de vaccination antivariolique dans l’enfance24.

Les données sont plus fragmentaires en ce qui concerne la persistance des réponses après une vaccination avec un vaccin MVA. Les premières données ont été obtenues dans le modèle NHP. En effet, il a été démontré que des macaques immunisés deux fois avec du MVA recombinant résistaient à un test de provocation au virus mpox deux ans après la vaccination, démontrant ainsi la durabilité de l’immunité protectrice25. Chez les animaux vaccinés, aucune corrélation n’a été trouvée entre l’ampleur des réponses immunitaires avant la provocation et la charge virale ou le nombre de lésions après la provocation. Les données chez l’homme montrent une diminution de la séropositivité et du titre des anticorps deux ans après la vaccination avec le vaccin MVA-BN, avec un effet très rapide d’un rappel vaccinal qui persiste jusqu’à 6 mois26«27 (tableau 4). La persistance de la réponse anticorps semble donc être plus courte avec le vaccin MVA qu’avec les vaccins plus anciens, ce qui implique un besoin probable de vaccinations de rappel. À noter que les autorités américaines recommandent un rappel vaccinal deux ans après la primo-vaccination chez les sujets à risque d’infection par les poxvirus dans un contexte professionnel.

Vaccin   N= Base de référence  (2 ans après la primo-vaccination)  N=  Jour 7 (post boost) Jour 14 (post boost) M6 (post boost) 
ELISA   S (%) MGT  Séroconv.  (%) MGT Séroconv.  (%) MGT Séroconv.  (%) MGT 
MVA-BN 2shots Vaccin contre la vaccine     92    121 72    79 23.3 (15.2- 35.9)  134.7 (119.9- 162)  75    195 100 738.0 (597.4,-911.6) 100 1688 (1381.5 – 2062.9) 100 461.8 (381.2- 559.25) 
PRNT   S (%) MGT  Séroconv.  (%) MGT Séroconv.  (%) MGT Séroconv.  (%) MGT 
MVA-BN 2shots Vaccin contre la vaccine     92    200 5,4    77 1.3 (1-1.5)   10.3 (7.2-14.6)  75    195 92 53.6 (37.0 – 77.6)  99 125.3 (89.5 – 175.3)    100 49.3 (32.4-7 5.0) 

Tableau 4 – Taux de séroconversion (anticorps neutralisants contre la vaccine) et TGM de l’étude POX -MVA-023 deux ans après le primovaccination et 7 et 14 jours après le rappel 

Récemment, une série de 37 cas d’infections mpox survenus chez des sujets HSH (gays et bisexuels) entre le 11 mai 2022 et le 30 juin 2023 dans les régions ayant été touchées par l’épidémie de 2022 ont été décrits28. Parmi celles-ci, 7 étaient des réinfections et 29 des infections chez des sujets vaccinés avec deux doses de vaccin MVA-BN. L’ensemble de ces infections étaient d’évolution bénigne.

Populations spécifiques

Comme indiqué précédemment, l’épidémie actuelle de mpox a fréquemment touché les PVVIH 29. La réponse vaccinale est généralement diminuée chez les PVVIH, ce qui conduit à des échecs vaccinaux plus fréquents et à la mise en œuvre de recommandations vaccinales spécifiques30. Les mécanismes impliqués dans les perturbations de la réponse vaccinale au cours de l’infection par le VIH sont nombreux et évidents chez les patients ayant un faible nombre de lymphocytes T CD4.

Cependant, sous c-ART, de nombreuses anomalies peuvent persister, associant notamment 1) une diversité réduite du répertoire avec une expansion oligoclonale des cellules T31; 2) un nombre et une fonctionnalité réduits des cellules B mémoires32; 3) des anomalies fonctionnelles des cellules Tfh circulantes présentant un phénotype prédominant de type Th133; 4) une activation inappropriée du système immunitaire34

La réponse à la variole ou au mpox a été peu étudiée chez les PVVIH. L’analyse de la réponse antivariolique chez les PVVIH vaccinées dans l’enfance par rapport aux patients séronégatifs montre 1) que la mémoire des lymphocytes T CD8+ est restée intacte (P > 0,99) 2) une perte de la mémoire des lymphocytes T CD4+ spécifiques du VV chez les participants infectés par le VIH (P = 0,04) 3) que les anticorps spécifiques du VV ont été maintenus indéfiniment chez les participants non infectés par le VIH (demi-vie infinie) mais qu’ils ont diminué rapidement chez les participants infectés par le VIH (demi-vie : 39 ans ; P = 0,001)35

Une étude comparative de la réponse au vaccin MVA a également montré que les taux de séropositivité ELISA étaient comparativement élevés chez les sujets sains naïfs de la vaccine et chez les sujets infectés par le VIH, et que si la séropositivité Ab neutralisante était initialement plus élevée chez les sujets sains que chez les PVVIH, aucune différence n’a été observée à la 26e semaine36.

Le vaccin MVA-BN® est autorisé pour une utilisation chez les adultes uniquement. Bien que l’efficacité de ce vaccin chez les enfants de moins de 18 ans n’a pas été établie, plusieurs études menées chez des enfants avec des vaccins utilisant le MVA comme vecteur ont montré une bonne tolérance dans la population pédiatrique37. Il est important d’en tenir compte car les enfants ont été la principale cible des épidémies précédentes et de l’épidémie actuelle en RDC38.

Disponibilité du vaccin contre le mpox

La disponibilité des vaccins antivarioliques de première génération semble importante, même si le nombre précis de doses disponibles dans les stocks de l’État est une information classifiée au titre du secret défense. Dans son avis de décembre 2012, le HCSP (Haut Conseil de la santé publique) a estimé le stock stratégique national français de vaccins antivarioliques de 1ère génération, constitué de la souche Lister, sur la base de la conformité des lots contrôlés en 2007 et selon la méthode de vaccination par aiguille bifurquée (soit 1μl/dose humaine) à 82 341 910 doses disponibles, composées de 63 353 530 doses de vaccin Pourquier® et de 18 988 380 doses de vaccin Sanofi-Pasteur®.

L’ANSM effectue périodiquement des contrôles de qualité et de stabilité et déclasse tous les lots non conformes, ce qui ne permet pas de connaître précisément les stocks restants en 2022. L’INVS (Institut national de veille sanitaire), désormais Santé publique France, a récemment indiqué que le vaccin est remarquablement stable et peut être conservé très longtemps, voire indéfiniment, à -20°C.

Cependant, comme mentionné précédemment, les vaccins de 1ère génération, qui sont des vaccins réplicatifs, présentent de nombreuses contre-indications en raison du risque élevé d’effets indésirables graves, voire mortels, pour la personne vaccinée et sa famille39. De plus, le mode d’administration nécessite un savoir-faire technique et un matériel d’injection spécifiques (scarification avec une aiguille bifurquée). Il est donc crucial de disposer de vaccins MVA. Actuellement, seul le laboratoire danois Bavarian Nordic propose un tel vaccin et sa capacité de production est limitée, ce qui ne permet pas de couvrir l’ensemble de la demande mondiale.

Voies d’administration

Le vaccin MVA-BN étant peu disponible, la question de changer la voie d’administration du vaccin en utilisant la voie intradermique avec une dose 5 fois plus faible a été soulevée.

Des études ont été menées sur l’utilisation du vaccin MVA par voie intradermique, permettant de réduire la dose de vaccin à 1/5 de ce qu’elle est avec la voie SC.

La première a inclus 500 adultes répartis en deux groupes, comparant l’immunogénicité et la réactogénicité d’un schéma de 2 doses de MVA-BN à 1 x 108 DICT50 par voie SC à un schéma de 2 doses à 2 x 107 DICT50 par voie ID (correspondant à 1/5ème de la dose par voie SC). Les résultats ont montré une réponse immunitaire similaire (non-infériorité) entre les voies SC et ID, mais une plus grande réactogénicité (rougeur, induration, gonflement, démangeaisons) dans la voie ID, y compris la persistance de réactions locales jusqu’à 6 mois après la première dose chez plus d’un tiers des participants40.

La seconde était une étude en double aveugle contrôlée par placebo impliquant 72 adultes (60 MVA-BN et 12 placebo) divisés en trois groupes avec différentes voies d’administration (sous-cutanée, intradermique, intramusculaire). Les résultats ont montré une réponse en anticorps neutralisants similaire lorsque MVA-BN est administré par voie ID et SC, et avec une dose de MVA-BN jusqu’à 10 fois plus faible en ID qu’en SC. Là encore, la réactogénicité locale était plus importante avec la voie ID (érythème, induration)41. Une utilisation d’urgence pour autoriser l’administration intradermique du vaccin a été prise par la FDA en août 202242 Plusieurs autres pays, notamment en Europe – dont la France – , ont pris la même décision.


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