Les traitements contre le VIH, également dits traitements antirétroviraux (TAR), sont très efficaces lorsqu’ils sont utilisés comme il se doit. Le TAR fonctionne parce qu’il réduit énormément la quantité de VIH dans le sang, et le maintien de l’observance thérapeutique (le fait de prendre fidèlement son traitement) assure l’inhibition continue du virus. Le système immunitaire peut par conséquent se réparer suffisamment pour que le risque d’infections liées au sida devienne extrêmement faible. Le TAR est tellement puissant et transformatif que les scientifiques prévoient de plus en plus une espérance de vie quasi normale pour de nombreuses personnes suivant ce genre de traitement.
Outre les bienfaits pour la santé, une charge virale inhibée offre un autre avantage de taille, car nombre d’essais cliniques ont révélé que les personnes qui atteignent et maintiennent une charge virale inhibée sous l’effet du TAR ne transmettent pas le VIH lors des relations sexuelles.
Observance thérapeutique : un obstacle à surmonter
Même si de nombreuses personnes sous TAR réussissent à maintenir une bonne observance thérapeutique, des études d’envergure menées au Canada et aux États-Unis entre les années 2010 et 2020 ont permis de constater qu’une proportion importante de personnes ne renouvelaient pas leurs ordonnances pour le TAR en temps opportun. Ces personnes connaissaient donc des interruptions de leur approvisionnement en médicaments contre le VIH. Une telle situation donnait lieu à la non-observance et à un risque accru de résistance virale au traitement. Les raisons pour la non-observance dans ces études n’étaient pas claires et demandent d’être évaluées.
Selon quelques études de faible envergure qui ont exploré les raisons éventuelles de la non-observance, les facteurs suivants semblent jouer un rôle, entre autres :
- stigmatisation liée au VIH
- itinérance
- insécurité alimentaire
- maladie mentale non reconnue, non traitée ou mal prise en charge
- dépendance à la drogue
Traitement à longue durée d’action
Vers la fin de 2020, les autorités réglementaires du Canada et, subséquemment, d’autres pays à revenu élevé ont approuvé Cabenuva, un traitement injectable à longue durée d’action contre le VIH. Ce produit associe deux médicaments, soit le cabotégravir et la rilpivirine. Cabenuva est un traitement complet destiné à des personnes dont le VIH est déjà inhibé sous l’effet d’un traitement oral et qui souhaitent passer à un traitement injectable. Les médicaments que contient Cabenuva sont injectés profondément dans les muscles du fessier, une injection de chaque côté. Ces injections profondes assurent la libération graduelle des médicaments dans le sang. Les injections de Cabenuva sont effectuées par un·e professionnel·le de la santé.
L’approbation réglementaire initiale de Cabenuva stipulait que les patient·e·s devaient commencer par prendre le cabotégravir et la rilpivirine sous forme de comprimés (traitement d’induction par voie orale) avant de passer à la formulation injectable. Les injections devaient alors être effectuées toutes les quatre semaines.
Or, des données d’essais cliniques subséquents ont révélé que de nombreuses personnes pouvaient passer directement de leur traitement oral en cours au traitement injectable, éliminant ainsi l’usage de formulations orales du cabotégravir et de la rilpivirine. Des essais cliniques ont également révélé que les injections pouvaient se faire toutes les huit semaines. Par conséquent, les autorités réglementaires ont révisé leur approbation pour permettre l’utilisation de Cabenuva sans phase d’induction par voie orale. De plus, si les médecins et les patient·e·s en convenaient, on pouvait effectuer les injections toutes les huit semaines.
Comme les médicaments que contient Cabenuva ne sont pas actifs contre le virus de l’hépatite B (VHB), les personnes vivant avec cette co-infection doivent prendre un comprimé tous les jours pour maintenir l’inhibition du virus.
Cabenuva ne doit pas être utilisé par des personnes dont le VIH a acquis une résistance au cabotégravir ou à la rilpivirine.
Lors des essais cliniques de Cabenuva, une analyse portant sur 1 651 personnes a permis de constater un échec virologique chez 1,4 % d’entre elles. Les facteurs associés au risque accru d’échec virologique incluaient les suivants :
- résistance du VIH à la rilpivirine
- présence d’un variant du VIH-1 appelé sous-type A1 ou A6
- indice de masse corporelle (IMC) de 30 mg/kg2 ou plus
Projet de démonstration à San Francisco
Une équipe de recherche de San Francisco a mené un projet de démonstration pour déterminer si Cabenuva pouvait réussir chez des personnes séropositives éprouvant divers problèmes susceptibles de compromettre l’observance thérapeutique, dont notamment les suivants : précarité du logement, maladie mentale grave, utilisation de drogues (principalement la méthamphétamine) et accès insuffisant à la nourriture. De plus, chez un certain nombre de patient·e·s, des schémas thérapeutiques oraux n’avaient jamais réussi à inhiber le VIH.
L’équipe de recherche a créé un programme de soutien et d’éducation pour sensibiliser les patient·e·s à l’importance de l’observance thérapeutique, du respect des rendez-vous réguliers en clinique et d’autres questions.
Dans un premier temps, des personnes dont le VIH était légèrement résistant à la rilpivirine ou au cabotégravir étaient admises au projet de démonstration. L’équipe a toutefois établi des critères plus restrictifs subséquemment, de sorte que les personnes présentant une quelconque résistance à ces médicaments ne pouvaient plus y participer.
L’équipe de recherche a analysé des données portant sur 133 personnes, dont 76 avaient une charge virale inhibée sous l’effet d’un traitement oral dès leur admission au projet et 57 dont la charge virale n’était pas inhibée.
Le VIH est resté inhibé chez toutes les personnes dont la charge virale était indétectable au début de l’étude grâce au traitement oral utilisé avant celle-ci. Chez 54 des 57 personnes dont la charge virale n’était pas inhibée au début du projet, celle-ci est devenue par la suite indétectable après le passage à Cabenuva.
Dans l’ensemble, 1,5 % des participant·e·s ont vécu un échec virologique. Ce chiffre est très proche de celui (1,4 %) constaté lors des essais cliniques.
Le projet de démonstration a révélé qu’un TAR injectable pouvait aider la majorité des personnes sous traitement à bénéficier d’une inhibition virale malgré la présence de difficultés dans la vie. Il a également révélé que les personnes dont la charge virale était déjà inhibée avant de passer au TAR injectable maintenaient l’inhibition virale après être passées à Cabenuva.
Un suivi à long terme est nécessaire pour confirmer et reproduire à plus grande échelle les résultats prometteurs rapportés par l’équipe de San Francisco.
Détails de l’étude
Les responsables de cette étude ont constitué une équipe qui se rencontrait régulièrement pour monter et surveiller le projet de démonstration. L’équipe comptait des médecins, des infirmier·ère·s, un·e superviseur·euse et un·e technicien·ne de pharmacie, et d’autres encore. L’équipe a élaboré un protocole pour déterminer les critères d’admissibilité, les modalités d’administration des injections, le suivi des patient·e·s et d’autres questions se rapportant au projet.
Des médecins et des infirmier·ère·s œuvrant à l’extérieur du projet pouvaient recommander des patient·e·s pour ce dernier. Le ou la superviseur·euse de pharmacie examinait les dossiers des patient·e·s recommandé·e·s et, s’il ou elle les jugeait admissibles, une rencontre était fixée. Lors de la rencontre, un counseling sur l’importance de l’observance thérapeutique était offert. Les participant·e·s pouvaient ensuite se présenter dans une clinique sans rendez-vous pour recevoir les injections. Toute personne qui arrivait avec plus de sept jours de retard pour se faire injecter devait d’abord prendre des formulations orales de la rilpivirine et du cabotégravir pour s’assurer que ses concentrations de médicaments étaient suffisantes avant de recommencer à recevoir des injections.
Pour les personnes ayant un IMC égal ou supérieur à 30 kg/m2, on avait recours à des aiguilles plus longues afin de s’assurer que le médicament pénétrait assez profondément dans le fessier.
Les participant·e·s avaient le profil moyen suivant au début de l’étude :
- âge : 45 ans
- hommes cisgenres : 88 %
- femmes cisgenres : 8 %
- femmes trans : 4 %
- principaux groupes ethnoraciaux : Blanc·he·s – 38 %; Hispaniques – 32 %; Noir·e·s – 16 %
- situation par rapport au logement : itinérance – 7 %; logement instable – 47 %; logement stable – 58 %
- usage courant de stimulants : 34 % (notons que près de 50 % des personnes qui avaient une charge virale détectable au début du projet faisaient usage de stimulants)
- autres traitements injectables à longue durée d’action (p. ex., antipsychotiques, naltrexone ou hormones) : 12 %
- résultats de tests liés au VIH : personnes ayant une charge virale inhibée (« indétectable ») grâce à leur traitement d’avant le projet – compte de CD4+ de 615 cellules/mm3; personnes ayant une charge virale non inhibée (« détectable ») – compte de CD4+ de 215 cellules/mm3 et charge virale de 16 000 copies/ml
Résultats
Comme nous l’avons mentionné plus tôt, 76 personnes avaient une charge virale inhibée sous l’effet du schéma thérapeutique utilisé avant le projet. La charge virale est restée inhibée chez toutes ces personnes après le passage au TAR injectable. Cinq de ces personnes ont subséquemment choisi de mettre fin au TAR injectable et de recommencer un TAR oral parce qu’elles éprouvaient des réactions aux sites d’injection. Trois autres personnes ont choisi de reprendre un TAR oral parce qu’elles avaient de la difficulté à retourner à la clinique toutes les quatre ou huit semaines.
Parmi les 57 personnes dont la charge virale n’était pas inhibée au début du projet, 54 (95 %) ont réussi à atteindre l’inhibition virale après une moyenne de 33 jours suivant les premières injections. Selon l’équipe de recherche, l’inhibition virale a été atteinte pour la première fois dans la vie de 19 % des 57 personnes grâce au TAR injectable. Ce point revêt une grande importance parce que certaines populations vulnérables font face à des obstacles de taille en matière d’observance thérapeutique.
Échec virologique et persistance d’une charge virale de faible niveau
Deux personnes ont vécu un échec virologique précoce. Chez une autre, la charge virale a été inhibée initialement, mais est redevenue détectable par la suite. Une quatrième personne avait encore une faible quantité de VIH détectable après l’introduction du TAR injectable. Voici une description de ce qui s’est passé chez ces quatre personnes :
Patient·e 1
Chez cette personne, la charge virale est passée de 215 000 copies/ml à 39 000 copies/ml après le début des injections. Une analyse sanguine a révélé que son VIH était résistant à la rilpivirine dès le début du projet (avant l’introduction de Cabenuva). De plus, deux semaines avant les injections, ce·tte patient·e avait reçu un antibiotique (rifabutine) dont on sait qu’il peut réduire considérablement la quantité de cabotégravir dans le sang. On a mis fin aux injections et, au moment de la publication des données, ce·tte patient·e avait choisi de ne pas commencer de TAR oral.
Patient·e 2
À la suite des premières injections, la charge virale de cette personne a chuté, passant de 137 000 copies/ml à 4 000 copies/ml environ. Au moment de la troisième paire d’injections, la charge virale a chuté jusqu’à moins de 30 copies/ml (un niveau qualifié d’« indétectable »). Une analyse sanguine a révélé que le VIH de cette personne avait acquis une résistance au cabotégravir et à la rilpivirine. On a mis fin aux injections, et le/la patient·e s’est fait offrir un TAR oral. Cependant, au moment de la publication des données, le/la patient·e avait choisi de ne pas commencer de TAR oral.
Patient 3
Chez cette personne, la charge virale a été inhibée initialement après l’introduction du TAR injectable, mais elle est devenue détectable par la suite. Par conséquent, on a mis fin aux injections, et le patient a reçu un traitement oral associant les médicaments darunavir, cobicistat, TAF et FTC. Ce dernier a réussi à inhiber à nouveau le VIH. Même si ce patient avait un IMC de 32 kg/m2, les professionnel·le·s de la santé ont oublié d’utiliser des aiguilles plus longues pour lui faire les injections de Cabenuva. Il a conséquemment présenté des taux sous-optimaux de cabotégravir et de rilpivirine dans son sang. Une analyse sanguine n’a toutefois pas révélé de résistance virale à ces médicaments.
Patient·e 4
Chez cette personne, une charge virale de faible niveau (182 copies/ml) a persisté malgré cinq cycles d’injections de Cabenuva. Les médecins ont alors ajouté un autre médicament à son traitement, soit le lénacapavir (vendu sous le nom de Sunlenca). Le lénacapavir est administré sous forme orale pendant une semaine environ, puis par injection sous-cutanée tous les six mois par la suite.
Respect des rendez-vous
Les patient·e·s sous Cabenuva doivent retourner à une clinique toutes les quatre ou huit semaines pour recevoir leurs injections. Près de 75 % des participant·e·s ont respecté les rendez-vous fixés. Selon l’équipe de recherche, certaines personnes étaient très motivées à poursuivre les injections. Elle a également fait valoir que les relations de confiance établies entre le personnel de la clinique et les patient·e·s ont aidé de nombreuses personnes à rester dans le projet de démonstration.
Lorsque des patient·e·s n’étaient pas en mesure de se rendre à la clinique à la date fixée, on leur fournissait des formulations orales du TAR afin de maintenir l’inhibition du VIH.
À retenir
Selon cette équipe de recherche, « le résultat principal [du projet de démonstration] a révélé que le TAR injectable a maintenu l’inhibition virale chez les personnes dont le TAR oral avait été efficace avant le changement, et presque toutes les personnes dont le virus n’était pas inhibé et qui n’utilisaient pas de TAR oral avant l’introduction [de Cabenuva] ont bénéficié d’une inhibition virale ».
L’équipe de recherche a également affirmé que le TAR injectable aiderait potentiellement les personnes éprouvant des problèmes d’observance pour les raisons suivantes, entre autres :
- Il peut minimiser les préoccupations relatives à la vie privée qui peuvent surgir lorsqu’on prend « un schéma thérapeutique oral dans un contexte de groupe, tel un refuge ».
- Il peut intégrer le traitement du VIH et le traitement de maladies mentales (notons, à titre d’exemple, que 8 % des participant·e·s recevaient des antipsychotiques injectables à longue durée d’action, lesquels pourraient être administrés dans le cadre du même rendez-vous).
Même si le rapport provenant de ce projet de démonstration est très prometteur, l’équipe de recherche a affirmé que des données à long terme seraient nécessaires pour en confirmer les résultats.
—Sean R. Hosein Pour CATIE