Grand-messe des spécialistes des infections sexuellement transmissibles (IST), la 31ème Conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes (CROI), qui s’est déroulée du 3 au 6 mars 2024 à Denver (Colorado), a permis de disposer de nouvelles données concernant l’épidémiologie du VIH, ainsi que la prise en charge des différentes IST, que cela concerne la prévention ou le traitement curatif.
Tout d’abord, une étude française présentée à Denver a souligné qu’encore trop de personnes vivant avec le VIH ne sont pas dépistées à temps, et découvrent leur séropositivité à un stade tardif de l’infection. Et cela joue fortement sur la mortalité.
Cette vaste étude a ainsi analysé l’impact sur la mortalité à 5 ans d’une prise en charge à un stade avancé d’une personne vivant avec le VIH (PVVIH), entre 2002 et 2016. Elle a porté sur 64 400 personnes nouvellement prises en charge à partir de la cohorte ANRS CO4 FHDH. Il en ressort que 29% d’entre elles étaient à un stade avancé de la maladie (CD4 <200 ou stade sida), 20% à un stade intermédiaire (200‐350 CD4). Les autres 51% ayant été diagnostiqués à un stade précoce (primo-infection ou CD4≥350/mm3). En outre, les auteurs ont constaté très peu d’amélioration au cours de la période de l’étude. Ainsi, la part de personnes prise en charge à un stade précoce était de 27% après 2014, contre 29% avant.
L’étude a, par ailleurs, mis en évidence qu’un accès tardif aux soins reste associé à un risque accru de décès même après 4 ans de suivi. Ainsi, le taux de décès pour les personnes qui étaient au stade sida s’élevait à 6% à 5 ans, contre 0,9% pour les personnes prises en charge précocement. En outre, l’introduction des inhibiteurs d’intégrase (en 2014) n’a pas entrainé d’amélioration significative du risque de décès, et ce, quel que soit le stade à la prise en charge. Les auteurs concluent que le diagnostic précoce chez les PVVIH « reste un objectif majeur pour diminuer le fardeau de l’infection à VIH et améliorer le pronostic vital des personnes nouvellement diagnostiquées ».
Prévention du VIH : où en est-on ?
Globalement, pour les IST, « la prévention prend de plus en plus de place », a constaté le Pr Jean-Michel Molina (Hôpital Saint-Louis et Lariboisière, Université de Paris Cité). Et pour le VIH, en particulier, de nombreuses données présentées à Denver ont montré l’impact de la prophylaxie pré-exposition (Prep) sur l’épidémie du VIH. Ainsi, de nouvelles données des Centers for disease control and prevention (CDC) ont montré une corrélation entre l’augmentation de la prescription de Prep et la baisse de l’incidence des nouveaux cas de VIH, dans certains états américains. « En France, on a des données qui vont aussi parfaitement dans ce sens », a complété le Pr Molina.
La Prep à la demande confirme aussi son efficacité. Les données dont nous disposons actuellement apparaissent « très solides », et « chez les femmes aussi ce schéma pourrait fonctionner ».
Ont aussi été mises en avant les nouvelles modalités de cette Prep, et en particulier de cabotégravir en injectable, qui n’est pas encore disponible en France, mais aux Etats-Unis, sous forme d’injection tous les 2 mois. « On espère l’avoir en France en 2025 », a avancé le Pr Molina. Et, à l’avenir, cette molécule pourrait être disponible en ultra longue durée d’action.
Des données concernant le lénacapavir en Prep, tous les 6 mois ont aussi été présentées. Des résultats de phase 3 sont attendus pour la fin 2024.
Concernant le vaccin, « les études se poursuivent pour essayer de proposer des vaccins prophylactiques qui favoriseraient chez l’individu la production d’anticorps neutralisants, avec des vaccins recombinants. […] Mais on est encore loin de pouvoir en disposer », a ajouté l’expert.
IST : efficacité de la doxycycline en post-exposition
Par ailleurs, il y a eu à cette CROI, « beaucoup d’engouement pour l’utilisation de la doxycycline en post exposition », a affirmé le Pr Molina.
Cette stratégie était l’objet d’un vaste essai français, nommé ANRS Doxyvac, dont les résultats apportent des éléments nouveaux pour la prévention IST.
Cet essai – promu et financé par l’ANRS Maladies infectieuses émergentes en partenariat avec le laboratoire Roche – a été mené par des équipes de recherche de l’Inserm, de l’AP-HP, de l’Université Paris Cité et de Sorbonne Université. Son objectif était double : évaluer l’efficacité de la doxycycline comme prévention post-exposition des IST bactériennes ; et évaluer l’efficacité de Bexsero, (vaccin contre le méningocoque B de GSK) sur la réduction du risque d’infection par le gonocoque.
L’essai a porté sur 556 hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH), qui ont été recrutés entre janvier 2021 et septembre 2022, en région parisienne. Les participants ont été répartis aléatoirement en 4 groupes : prophylaxie post-exposition par doxycycline (à prendre dans les 72h après un rapport sexuel non protégé) ; vaccination pré-exposition par Bexsero ; combinaison des deux interventions ; aucune des deux interventions.
Les résultats définitifs, qui ont été présentés à la 31ème Conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes (Croi, Denver du 3 au 6 mars), confirment tout d’abord les données intermédiaires -présentées il y a 1 an – concernant l’antibiotique. Ainsi, ce dernier a permis de réduire de 83% le risque d’infection à chlamydia ou de syphilis, et de 33% celui d’infection à gonocoques.
En revanche, l’analyse finale a mis en évidence des résultats discordants par rapport à ceux de l’analyse intermédiaire concernant Bexsero. Ainsi, ce vaccin n’a pas montré d’effet concluant dans la prévention des infections à gonocoques. Des études avec des vaccins ciblant plus spécifiquement le gonocoque sont en cours.
Par ailleurs cette stratégie post-exposition avec la doxycycline a été confortée dans une étude en vie réelle. Ce traitement en post-exposition a ainsi été mis en place à San Francisco chez les utilisateurs de Prep qui avaient des rapports non protégés. Les résultats ont alors mis en évidence une diminution de 50% des cas de syphilis et d’infections à chlamydiae, dans l’année qui a suivi.
Mieux connaitre les réservoirs viraux pour guérir du VIH
Sur le plan de la prise en charge curative, « la guérison du VIH passe par une bonne connaissance des réservoirs viraux, et des mécanismes de persistance du virus, pour envisager des stratégies de guérison absolue ou de rémission – définie par un réservoir très faible, et sans traitement », a par ailleurs affirmé le Pr Pierre Delobel (CHU de Toulouse, Inserm UMR1291).
Dans ce cadre, le réservoir du tube digestif est important car il contient énormément de lymphocytes et est très atteint dans la maladie.
Plusieurs travaux sur ce réservoir digestif ont été présentés à Denver. En particulier l’essai ANRS EP61 Galt a été réalisé chez 42 patients vivant avec le VIH, bien contrôlés par traitement antirétroviral, qui ont bénéficié d’endoscopies digestives hautes et basses.
Les résultats ont permis de mieux comprendre où persistent le virus sous traitement. Ainsi, chez les malades, cet organe est riche en virus intacts, c’est-à-dire capables de réinfecter le patient en cas d’arrêt du traitement. Il s’agit principalement des lymphocytes CD4, mais aussi des macrophages, et d’autres lymphocytes de la muqueuse intestinale.
Plus globalement sur le plan curatif, diverses stratégies d’immunothérapie ont été présentées à la CROI, en particulier avec des anticorps neutralisants à large spectre. « On peut les administrer, en perfusion, mais on n’arrive pas encore à les faire produire chez les personnes par des vaccins », a précisé le Pr Delobel. Des études sont en cours, mais assez fondamentale encore, avec en particulier des adénovirus modifiés.
VHB : des alternatives à la biopsie hépatique pour évaluer les réservoirs viraux
De nombreux progrès ont été réalisés pour le traitement de l’hépatique B. Cependant, « les traitements actuels sont capables de contenir la réplication du virus mais pas de l’éliminer de son réservoir hépatique. A l’arrêt du traitement, la reprise de la réplication peut être violente », a déclaré la Dre Barbara Testoni, (Centre de recherche en cancérologie de Lyon, Inserm U1052, Institut d’hépatologie de Lyon). Cela est dû à l’existence d’un réservoir intrahépatique d’ADN ccc (pour covalently closed circular) qui n’est pas atteint par les traitements.
Pour tenter de guérir le patient, il est donc nécessaire de savoir combien d’ADN ccc est présent dans les hépatocytes et s’il est actif. Jusqu’à présent, seule la biopsie hépatique permettait d’avoir ces informations. Mais il s’agit d’un acte invasif, douloureux, et non dénué de risque. Il serait donc nécessaire de bénéficier de marqueurs plus faciles à obtenir. C’est pourquoi, une équipe française dirigée par la Dre Testoni a présenté à la CROI des travaux évaluant deux nouvelles méthodes : l’aspiration à l’aiguille fine; et la quantification de l’ARN du VHB circulant.
La biopsie à l’aiguille fine est, comme son nom l’indique, un acte similaire à la biopsie standard, mais avec une aiguille bien moins traumatisante. Les résultats des études ont démontré la preuve de concept selon laquelle cette technique peut être utilisée pour évaluer l’ADNccc intrahépatique. « Nous arrivons à détecter et évaluer si le génome viral est actif ou non », a précisé Barbara Testoni. Et concernant les marqueurs sériques, « nous montrons la performance et la pertinence de la quantification de l’ARN circulant en tant qu’indicateur de l’activité transcriptionnelle de l’ADNccc », précisent les auteurs. Ces résultats soutiennent l’utilisation des deux approches dans les essais cliniques pour développer et évaluer de nouveaux antiviraux et agents immunomodulateur.