Pour la santé mentale des personnes LGBTQIA+, on agit quand ?


A la suite de la recrudescence des violences contre les personnes LGBTQI+, l’association Vers Paris sans sida interpelle sur les conséquences massives des agressions sur la santé mentale des concerné·es. Face aux manque de données et d’actions, elle démontre l’urgence de ce problème de santé publique et l’intérêt d’une prise en charge adaptée.

Association Paris sans sida

En 2023, en France, plus de 80 marches des fiertés ont lieu dans des villes, petites et grandes, en métropole et aussi à la Réunion, à Paris et en banlieue. C’est le signe évident d’une communauté LGBTQIA+ plus forte, fière et désireuse de célébrer sa visibilité, défendre les droits acquis et revendiquer de nouveaux droits. On ne peut que s’en réjouir, mais il y a une ombre au drapeau rainbow multicolore. Les personnes LGBTQIA+ ne vont pas toutes bien. On le sait et pourtant, la santé mentale reste la grande oubliée des politiques publiques de santé.

Malgré des avancées dans le domaine des droits et des représentations, l’exposition aux comportements et violences LGBTQIphobes demeure forte à l’école, dans la famille et dans toute la société. Elle touche toutes les classes d’âge et les personnes vivant avec le VIH doivent y ajouter une sérophobie qui s’exprime aussi parfois au sein de la communauté elle-même.

J’ai été frappé par les témoignages dans le très beau documentaire « Homos en France », diffusé sur France 2 le 16 mai dernier. En dépit du nombre important de films, de livres, de séries mais aussi en dépit des coming out de plus en plus nombreux de personnes connues dans tous les milieux, les récits des personnes interrogées dans ce film faisaient état d’une grande solitude lors de la découverte de l’homosexualité. Cette expérience du minoritaire, on la retrouve dans toutes les générations.

Je pensais naïvement que les avancées obtenues par nos combats depuis quatre décennies auraient suffi à faire diminuer ce mal être. Un peu sans doute, mais imparfaitement, certainement. Il y a aussi un contexte inquiétant. A plusieurs reprises ces derniers mois, on a vu des attaques sans précédent contre les personnes LGBTQI+. En janvier, c’est un spectacle de drag queens pour enfants qui est interdit à Toulouse. En avril, c’est le concert de Bilal Hassani qui doit être annulé à Metz, suite à des menaces. Lundi 22 mai, à Tours, le Centre LGBTI de Touraine est visé par un engin explosif jeté en pleine journée dans le local. L’an passé, une affiche du Planning familial avait déclenché une vague d’attaques transphobes en particulier sur les réseaux sociaux.

Les autorités de santé connaissent les chiffres de ce mal-être. Il n’est pas inutile de les rappeler. Selon l’analyse du Baromètre gay 2017, publiée par Fabienne El Khoury Lesueur dans le bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) le 17 mai 2021, « les personnes LGBTQI+ sont davantage concernées par les troubles de santé mentale : le risque d’épisode dépressif caractérisé, de pensées suicidaires et de tentative de suicide est multiplié au moins par deux par rapport à la population de personnes hétérosexuelles. Elles sont aussi plus à risque d’être victimes de violences physiques et/ou verbales l’année précédant l’enquête. Les analyses de médiation montrent que les violences vécues expliquent 25% d’avoir des symptômes dépressifs actuels chez les personnes LGBTQI+ par rapport aux personnes hétérosexuelles. » Dans le même BEH, Annie Velter soulignait le manque d’études sur la transphobie et de ses conséquences sur la santé publique. On ne peut pas non plus ignorer que d’autres facteurs de discrimination viennent s’ajouter et révèlent les rapports de domination liés au genre, à la classe sociale ou à l’appartenance à un groupe racisé.

La santé mentale des personnes LGBTQI+ migrantes est elle encore insuffisamment connue. En 2019, une enquête étasunienne sur conduite sur 208 exilé·es LGBTQI+ estimait à 80 % la prévalence de la souffrance psychologique (mental distress) dans cette population. Les expériences de discrimination et de mal-être sont souvent aggravées par la stigmatisation dont font parfois l’objet les personnes LGBT et en particulier celles souffrant de problèmes de santé mentale chez de nombreux prestataires de soins de santé. La santé mentale a aussi un impact direct sur les actions de prévention. Dans un document de synthèse publié en 2020, l’agence des Nations unies contre le sida le reconnaissait elle-même : « Nous ne pouvons pas mettre fin à l’épidémie de sida si nous ne garantissons pas la santé mentale et le bien-être tout au long de la vie, en particulier chez les personnes et les communautés les plus vulnérables. »

Longtemps, les structures communautaires se sont peu mobilisées sur le sujet de la santé mentale. Ceci est en partie la résultante de décennies de lutte – légitime – contre la psychiatrisation, mais aussi d’un hiatus entre l’affirmation positive de la fierté et de la visibilité et ce côté sombre de l’expérience communautaire – la souffrance psychique – que l’on a trop longtemps ignorée. Depuis plusieurs années, la santé communautaire s’est pourtant saisie à bras le corps de ce problème de santé publique. A travers un travail exploratoire, France Lert, actuelle présidente d’honneur de Paris sans sida, et Elian Passier de Paris sans sida ont pu recenser les très nombreuses initiatives des acteurs de terrain à Paris et en Seine Saint-Denis.

Il nous faut continuer d’agir sur les deux tableaux. Aller encore plus loin dans l’action politique tendant vers plus d’égalité et de reconnaissance des droits des personnes LGBTQIA+. Commencer par ouvrir la PMA aux personnes trans et mettre fin aux mutilations des personnes intersexes serait un bon début. Dans le même temps, il faudrait prendre notre part pour une prise en charge professionnelle des troubles psychiatriques adaptée aux personnes LGBTQIA+. Cela passe par un engagement des collectivités, l’empowerment des communautés et des individus, le renforcement de l’offre existante, et le soutien à de nouvelles formes d’action venant du terrain.

Les actions en faveur de la santé communautaire sont hélas peu soutenues en France, alors qu’elle a fait ses preuves dans plusieurs pays anglo-saxons. Les actions de santé communautaire sont des actions de santé publique. Les associations seules ne peuvent pas répondre aux besoins en santé mentale des populations LGBTQIA+. L’Etat doit prendre sa part mais l’absence de volonté politique et de moyens sont criants. Dans la Feuille de route de la santé mentale et de la psychiatrie du ministère de la Santé, il n’est jamais fait mention des problèmes spécifiques et des réponses à apporter aux personnes LGBTQIA+. Quant à la feuille de route en santé sexuelle, elle limite les liens entre santé sexuelle et mentale aux seul·es adolescent·es. Ce que demandent les intervenant·es : un dialogue efficace avec et pour les associations, la création d’un groupe de travail ad hoc entre les bureaux santé sexuelle et santé mentale, des consultations dédiées dans l’offre de soin. On attend des paroles fortes au plus haut niveau de l’État. Et cela doit commencer avec l’éducation.

Monsieur le Président, contrairement à ce que vous pensez, c’est dès le plus jeune âge que l’on peut enseigner aux enfants les valeurs d’égalité et la richesse d’une société qui évolue dans le respect de la diversité des corps, des familles, des origines et des amours. Agir pour la santé mentale est aussi l’affaire de nos communautés LGBTQIA+. Ne pas détourner le regard, en parler, ne plus avoir honte, agir, se soutenir. L’une des plus belles réalisations en ce sens est la création de « cortèges calmes » au sein des marches, ce qui permet aux personnes en situation de handicap et aux personnes neuroatypiques d’y participer.

Le jour de la Marche des fiertés dans la capitale, il est temps de rappeler que le combat des minorités fait avancer les droits de toutes et tous. La fierté aujourd’hui, c’est être LGBTQIA+ et vivre parfois avec des troubles mentaux dans un univers LGBTphobe et psychophobe. C’est vivre avec. La reconnaissance de cette réalité, c’est le présent des luttes sociales LGBTQIA+, contre l’exclusion, le rejet et la honte. 

Source : Christophe Martet, président de Vers Paris sans sida


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *