Les 21 et 22 mars dernier avaient lieu les journées scientifiques de l’ANRS | Maladies infectieuses émergentes. À cette occasion, la Dre Clotilde Allavena, infectiologue au CHU Nantes, a fait une présentation sur les antirétroviraux (ARV) à longue durée d’action. Interview.
Deux ans après son lancement, quel bilan tirez-vous de la mise en place en France du premier traitement VIH injectable à longue durée d’action ? Quel est le profil de vos patients-es qui sont passés-es à l’injectable ?
Clotilde Allavena : Je participe à la cohorte Dat’AIDS et nous avons observé de grosses disparités concernant la mise en place du traitement injectable en fonction des centres. Certains centres ont commencé très rapidement et se sont organisés. Que les injections et le suivi se fassent à l’hôpital ou en ville, ce protocole nécessite une organisation au sein des services. D’autres centres ont mis plus de temps à se lancer dans les injectables pour des raisons logistiques et par manque de moyens humains. À Nantes, nous avions une vraie demande de la part de nos patients, plutôt des HSH [hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, ndlr], observants, qui travaillent, qui suivent l’actualité VIH et qui cherchent à avoir une meilleure qualité de vie. Il y a aussi eu des demandes chez nos patients migrants, mais plutôt pour des questions de confidentialité et de stigmatisation liées à la prise quotidienne des comprimés. Et puis, il y a les polymédiqués [qui prennent différents traitements pour plusieurs pathologies en même temps, ndlr], comme les personnes âgées, pour qui le fait de prendre un traitement VIH en comprimés, même un seul comprimé, est un rappel quotidien du poids de cette infection dans leur vie. Il y a deux catégories de patients chez lesquels le traitement injectable n’est pas préconisé : les femmes qui ont un désir de grossesse, à cause d’un manque de données, et les personnes qui ne sont pas observantes, qui ne viennent pas régulièrement à leur consultation ou qui font des interruptions de traitement régulières. Dans le service, nous avons anticipé cette demande et avions demandé 10 % de temps infirmier supplémentaire, ce qui nous a été refusé. Par conséquent, nous avons décidé qu’on ne pouvait pas garder les patients en milieu hospitalier et qu’on faisait les trois premières injections à l’hôpital, comme cela est recommandé, avant de basculer vers un suivi infirmier en ville.
Le fait de devoir retourner à l’hôpital pour les premières injections constitue-t-il un frein pour certains-es de vos patients-es ?
Clotilde Allavena : Les personnes vivant avec le VIH qui sont motivées pour passer au traitement injectable comprennent bien l’intérêt de faire les premières injections à l’hôpital, ce qui permet d’avoir un suivi et un retour sur la tolérance locale aux sites d’injection, le contrôle de la charge virale et les effets indésirables. Parmi mes patients, je n’ai pas eu l’impression que le fait de faire les premières injections à l’hôpital soit un frein.
Comment se passe la mise sous traitement injectable dans votre service ?
Clotilde Allavena : La première étape, c’est un rendez-vous en ETP, avec une infirmière qui prend le temps d’expliquer tout le protocole et de répondre aux questions sur les injections, la gestion de la douleur et des effets indésirables, comment faire si on part en voyage, etc. À l’issue de ce premier rendez-vous, la personne a toutes les cartes en main pour savoir si elle se lance ou pas dans le traitement injectable. Ensuite, on programme les premiers rendez-vous. À chaque rendez-vous, deux injections ont lieu, une injection intra-musculaire dans chaque fesse. Au début du traitement, les injections ont lieu à un mois d’intervalle, puis un rendez-vous tous les deux mois.
Le lénacapavir est annoncé comme le traitement VIH de demain avec une injection tous les six mois, mais à ce stade il s’accompagne d’un comprimé oral quotidien. Quelle est la plus-value de cette combinaison ?
Clotilde Allavena : Ce traitement fait partie d’une nouvelle classe d’antirétroviraux et il est intéressant pour les patients en difficulté thérapeutique qui ont développé des résistances à d’autres classes de molécules. À ce stade, ce traitement est moins intéressant chez les patients naïfs car les chercheurs n’ont pas encore trouvé l’autre molécule nécessaire pour en faire une bithérapie efficace en long acting. Il y avait beaucoup d’espoirs sur la molécule islatravir, mais, malheureusement, son développement a été ralenti suite à une baisse des CD4 pendant les essais.
Le profil des personnes qui prennent la Prep a peu changé depuis 2016. Ce sont en très grande majorité des HSH (97 %). Comment atteindre les femmes et notamment les femmes nées en Afrique subsarienne ?
Clotilde Allavena : Les HSH restent le groupe le plus exposé au VIH en France, mais effectivement il faut faire un effort pour déployer cet outil chez les femmes migrantes d’origine africaine. Au moment de leur arrivée en France, elles sont en situation de précarité majeure, souvent sans emploi et sans logement fixe. La Prep est un outil important, mais ce qu’il faudrait mettre en place c’est une offre de santé sexuelle et reproductive globale avec une contraception, des vaccins, des préservatifs, de la Prep et des dépistages du VIH et des IST.
La Prep en traitement injectable est autorisée depuis un an aux États-Unis. Les essais cliniques ont montré de rares cas d’infections alors que les rendez-vous d’injections étaient bien respectés. Quel est votre point de vue de clinicienne à ce sujet ?
Clotilde Allavena : C’est une réflexion que l’on va avoir avec tous les traitements long acting. Globalement, la Prep injectable est très efficace, plus efficace que la Prep orale. Dans les essais HPTN, le nombre de contamination a diminué des trois quarts. Le risque de faire une infection sous Prep injectable est minime, mais la conséquence est importante car les personnes peuvent développer des résistances à toute la classe des anti-intégrases. Pour l’instant, on n’explique pas ces cas très rares de contamination sous Prep injectable. A priori, les injections étaient faites sans retard et les concentrations de cabotégravir étaient satisfaisantes. On ne comprend pas et c’est frustrant. Des recherches sont en cours pour comprendre ces cas. La Prep est un outil très efficace, mais il n’y a pas de risque zéro que ce soit en comprimé en cas d’oubli ou en injectable. Toutes les études montrent que les personnes préfèrent les formes injectables aux formes orales. Moins d’oublis, moins d’effets indésirables, une meilleure qualité de vie, moins de risque d’échecs, mais on paye cher les rares cas d’échecs en Prep. Ce n’est pas à nous de choisir à la place des personnes concernées. Mon rôle de clinicienne est de donner toutes les informations aux patients pour qu’ils aient toutes les cartes en mains.
Source Seronet