TRT5 : Recommandations pour l’amélioration des données de surveillance et de recherche en matière de VIH, d’hépatites virales et d’IST


Les constats

Depuis plusieurs années la surveillance épidémiologique du VIH, des hépatites virales et des IST souffre d’un important recul.

Selon le dernier Bulletin VIH-IST de Santé Publique France (SPF), l’exhaustivité de la déclaration obligatoire (DO) serait de 59% pour 2021, et en baisse par rapport aux années précédentes. Le récent rapport de l’IGAS (Inspection Générale des Affaires Sociales) indique quant à lui que le taux de participation des laboratoires à l’enquête LaboVIH est passé de 89 à 60% entre 2013 et 2020. Ce même rapport souligne le manque d’exhaustivité et le taux de réponse en baisse des enquêtes menées auprès des CEGIDD (Centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic), avec une importante hétérogénéité en fonction des régions.

Pour autant, nombre d’acteurs s’accordent sur le fait que l’échelon régional n’est pas pertinent pour le suivi épidémiologique des grandes pathologies, ni pour le pilotage fin des actions de prévention les concernant.

Plusieurs raisons à cette faiblesse des données sont invoquées par les acteurs :

  • La surveillance du VIH, des hépatites virales et des IST apparaîtrait comme un enjeu de santé publique moins crucial que par le passé ;
  • L’exhaustivité, différente selon les régions, dépendrait totalement de la sensibilité des personnes chargées de participer à la question de la qualité des données ;
  • Des difficultés d’ordre technique la rendraient difficile à réaliser ;
  • L’empilement et l’étanchéité des systèmes ne faciliteraient pas le recueil et l’exploitation des données ;
  • L’inexistence de mesures incitatives : contrairement à certains pays européens, en France, les bonnes pratiques de déclaration ne constituent pas un critère d’allocation de ressources.

D’autres causes sont avancées par le rapport de l’IGAS, comme : le manque de pilotage au niveau national, le manque de ressources humaines et de moyens financiers pour les acteurs actuellement en charge du recueil des données de terrain ou encore le défaut d’articulation entre les données de terrain et celles issues de la recherche.

L’amenuisement des données exploitables à des fins de surveillance épidémiologique atteint aujourd’hui un stade critique. Cela impacte directement la conception des stratégies de lutte contre le VIH, des hépatites virales et des IST en « ne permettant pas aux acteurs de disposer en temps réel d’une vision claire des enjeux et des stratégies à déployer au niveau national et local en matière de prévention et de prise en charge ».

Car au-delà de la question de la surveillance du VIH, se pose aussi plus largement la question de savoir de quelles données nous avons besoin pour caractériser au plus près ces épidémies. A cet égard, les données de la recherche (travaux de modélisation, cohortes, etc.) sont elles aussi absolument essentielles dans la compréhension des enjeux et in fine dans l’élaboration de politiques publiques cohérentes.

Or les estimations, issues de la comparaison des données recueillies sur le terrain à celles de l’Assurance maladie, deviennent de moins en moins précises à mesure que décroît la robustesse des données. Aujourd’hui, de l’aveu des épidémiologistes, il n’est plus possible d’avoir une compréhension fine des épidémies au sein des territoires (incidence, épidémie non diagnostiquée, cascade de soins, etc.) Tout au plus des tendances globales peuvent être décelées. La taille des populations clés est également mal estimée.

Au niveau local, ce constat a de quoi inquiéter les associations impliquées dans la lutte contre ces virus. Ces dernières ont besoin d’une perception claire des problématiques territoriales pour mener leurs actions. L’utilisation de ces données est essentielle au moment de construire, dimensionner et argumenter leurs réponses aux appels à projets.

Un récent rapport de la Cour des Comptes[4] s’est intéressé à la politique globale de prévention en santé en France et a formulé un certain nombre de constats, notamment autour du manque criant de données médicales et sociales permettant de cibler les populations clés. La Cour relève ainsi que « l’outil statistique est un point de faiblesse pour le suivi de ces politiques. Le caractère très embryonnaire de la stratégie des données de santé en France, et en particulier pour celles utiles à la recherche et à l’évaluation en santé publique, en est la principale raison. »

Trois catégories d’outils sont utilisées en France pour procéder à des travaux de recherche : les registres, les cohortes et les grandes enquêtes de santé (GES).

Les cohortes constituent un instrument de référence de la recherche en santé publique. À la différence des registres, elles ne visent pas à recenser toutes les personnes atteintes par une même pathologie, mais à suivre dans le temps un échantillon statistiquement significatif. Constituées d’un ensemble de personnes suivies individuellement dans le temps de façon prospective ou rétrospective, elles visent à repérer la survenue d’évènements de santé d’intérêt et des facteurs de risque ou de protection s’y rapportant. L’exemple de la cohorte Constances met en évidence les enjeux de financements à long terme de tels équipements de recherche, qui sont spécifiques à la santé publique, la mesure de l’impact de certains actes de prévention se réalisant sur plusieurs années voire décennies (vaccination HPV par exemple).

Les GES constituent le troisième outil de recueil des données. Elles sont menées depuis 1992 de manière récurrente, avec des fréquences variables, en général de cinq ans.

Un quatrième outil fait défaut selon la Cour des Comptes : alors qu’elles sont au cœur de la prévention et des soins primaires, les données issues des actes et consultations de ville (médecins généralistes, biologistes, radiologues) ne sont pas recueillies, et encore moins consolidées et traitées à des fins d’évaluation des mesures décidées en matière de santé publique ou de recherche. L’Inserm avait dès 2013 relevé l’intérêt de disposer des données émanant des laboratoires de biologie, des centres de radiologies et des cabinets de ville.

Le pilotage de ces différents outils est très cloisonné et une vision stratégique sur les données de santé fait défaut. A cela s’ajoute des difficultés techniques entravant l’interconnexion sécurisée des bases de données, de même que des questionnements éthiques sur l’impact de l’interconnexion en matière de respect des droits relatifs aux données de santé.

Comme le rappelle la Cour des Comptes, la France a toujours eu une position très protectrice des droits et des individus en matière d’informatique puis de numérique. L’article 8 et le chapitre IX de la loi « Informatique et libertés » du 6 janvier 1978 abordent précisément les contraintes sur les données relatives à la santé. Le code de la santé publique comprend de nombreux articles encadrant strictement les données de santé. Le règlement européen sur la protection des données personnelles (RGPD) entré en application le 25 mai 2018 a donné une définition large des données de santé. Cette sédimentation de lois protectrices depuis la loi fondatrice « Informatique et libertés » se traduit par une assez forte confiance des citoyens-nes.

Ainsi dans une étude faite pour la Mutualité française auprès de plus de 7 000 ressortissants des pays de l’Union européenne sur la place de la santé en Europe, la France est le pays où le niveau de satisfaction quant à la protection des données de santé est le plus élevé : 71 % contre 70 % en Allemagne et en Italie, 62 % en Suède, 57 % en Pologne et 47 % en Grèce, pour une moyenne globale de 67 %[5]. Là aussi, l’exemple de la cohorte Constances, où 97% des volontaires ont accepté l’appariement des données, atteste d’une grande acceptabilité dès lors que la démarche se place dans une perspective de recherche en santé publique.

Quoi qu’il en soit, l’amélioration de la surveillance épidémiologique reste un des objectifs majeurs et urgents de la feuille de route 2021-2024 de la Stratégie nationale de santé sexuelle. Les défis ne sont pas seulement technologiques ou règlementaires. Ils posent notamment des questions éthiques et exigent une articulation fine entre vision de santé publique et déploiement dans la vie réelle au plus près des populations. C’est pourquoi il est nécessaire que la place des associations et des représentants des usagers du système de santé dans ce chantier qui s’ouvre soit assurée.

Les préconisations du TRT-5 CHV

1. L’amélioration de l’organisation du système de déclaration obligatoire (DO) implique d’harmoniser le recueil en région.

2. Bien que le niveau d’incomplétude de la DO soit en partie attribué à la charge de travail inhérente, la réponse à apporter ne doit pas passer par une révision à la baisse des critères à renseigner.

3. Concernant le recueil et la transmission de données réalisés en laboratoires de biologie médicale, il importe que l’arrêté évoqué dans le décret n° 2023-700 du 31 juillet 2023 liste le VIH, les hépatites virales et les IST parmi les maladies pour lesquelles les dépistages négatifs font l’objet d’un enregistrement dans le traitement LABOé-SI.

4. Une conception efficiente de la surveillance épidémiologique doit passer par la possibilité de disposer de données particulières en fonction des besoins particuliers des territoires, sur le modèle de l’étude COINCIDE (CartOgraphie INfra-départementale des nouveaux diagnostiCs d’infection à VIH en Ile-DE-France). Une approche départementale ou territoriale est nécessaire pour cibler les politiques de prévention. Les autorités de santé et acteurs locaux ont besoin de données plus opérationnelles et plus rapidement disponibles.

5. Pour pouvoir servir efficacement les stratégies nationales et locales de lutte contre le VIH, les hépatites virales et les IST, la surveillance épidémiologique doit s’appuyer sur une complémentarité de données aussi bien quantitatives que qualitatives. Dans cette optique, il convient de s’extraire des grandes catégorisations épidémiologiques pour :

  • Disposer de données de modélisation décrivant en temps réel la dynamique de l’épidémie (incidence, épidémie cachée, cascades, etc.) ;
  • Mieux quantifier et décrire les besoins, parcours de vie, habitudes, pratiques des sous-groupes les plus vulnérables et les moins atteints par les évolutions thérapeutiques et préventives de la décennie écoulée : chemsexeurs, femmes migrantes cis et trans, HSH migrants, hétéros curieux ou bi discrets (comme se définissent les personnes sur les applications de rencontre), travailleurs-ses du sexe, détenus-es ;
  • Mieux connaître la qualité de vie et le suivi des personnes concernées (perdus-es de vue, cause des décès, etc.)

6. La connaissance des épidémies doit intégrer les données d’activité, de santé et de recherche produites par les associations en tant qu’actrices à part entière de la surveillance et de la recherche publique.

7. Il est impératif de conforter et utiliser les enquêtes et recherches communautaires sur le modèle des études ICONE, IPERGAY, FASSETS ou encore SLAM[6] qui ont fait leurs preuves dans l’atteinte des publics les plus éloignés, en recourant notamment aux méthodologies de type Respondent-driven sampling (RDS)

8. Les conclusions et recommandations à paraître des institutions et experts-es du VIH (Conseil national du Sida et des hépatites virales, Prise en charge médicale des personnes vivant avec le VIH, etc.) devront impérativement être prises en compte dans le cadre des travaux à venir sur l’amélioration de la surveillance et de la recherche.

9. Les autorités doivent œuvrer pour une inter-opérabilité des différents systèmes d’information efficiente mais aussi garante des droits des personnes. Le débat sur l’utilisation des données n’est pas seulement technique mais éthique et doit être mené en concertation systématique avec les associations de représentants-es d’usagers-ères. Des programmes d’acculturation autour des droits relatifs aux données de santé doivent être parallèlement déployés pour favoriser la littératie en santé du public.

10. La surveillance épidémiologique pourrait valablement être alimentée en recueillant, consolidant et en exploitant les données issues des actes et consultations de ville (médecins généralistes, biologistes, radiologues etc.)

11. Une réflexion et un débat publics sur les données sociales et médicales, ainsi que sur les déterminants en santé utiles au ciblage des actions de prévention et à la recherche en santé publique sont nécessaires. Il conviendra de préciser dans cette stratégie les modalités de pilotage et de mise en cohérence des différents outils utiles à ce recueil, et la manière dont ils sont financés.

En conclusion, alors que la surveillance du VIH, des hépatites virales et des IST fait l’objet d’un désinvestissement apparent depuis plusieurs années, le TRT-5 CHV rappelle l’intérêt fondamental qu’elle revêt en matière de santé publique et qui doit guider en premier lieu les réformes dont elle fait l’objet.

Parce que l’accès aux droits et à la santé est un préalable indispensable à l’activité de surveillance épidémiologique, les discriminations systémiques ciblant les travailleurs-euses du sexe, les consommateurs-rices de drogues injectables, les personnes en situation de migration ou de détention doivent impérativement être levées.

Les associations et la surveillance épidémiologique

  • Chaque année, les associations participent aux travaux de surveillance par le biais de leur travail mené auprès et avec les publics les plus exposés au risque de contamination.

Réalisés par dizaines de milliers tous les ans, les tests rapides d’orientation diagnostiques (TROD) servent de porte d’entrée vers le dépistage et permettent de dresser des constats, région par région, public cible par public cible. Les programmes dans le cadre desquels ils sont déployés atteignent les publics les plus vulnérables face au risque de contamination, que les gisements de données mobilisés à des fins de surveillance épidémiologique ne permettent pas de visibiliser.

Les associations rendent compte en outre des examens de biologie réalisés dans les CEGIDD et Centres de santé sexuelle d’approche communautaire (CSSAC) actuellement expérimentés et dont les premiers résultats montrent des taux de positivité au VIH et au VHC supérieurs à ceux généralement constatés.

  • Les associations initient et prennent aussi part à des études qui évaluent la prévalence et l’incidence du VIH, des hépatites virales et des IST.

A titre d’exemple l’étude « ICONE – Dépistage communautaire et initiation du traitement contre l’hépatite C parmi les usagers de drogues de Montpellier » pilotée par l’ANRS-MIE, réalisée avec et par des pairs, a permis de référencer les produits consommés localement (principalement l’héroïne, la cocaïne, le crack, et aussi des drogues de synthèses comme la méthamphétamine). Elle a permis d’évaluer le nombre de consommateurs-rices de drogues souvent éloignés-es du système de santé et d’établir la prévalence de l’hépatite C à Montpellier. D’autres projets de recherche peuvent servir d’exemple, à l’image de FASSETS, réalisé à Marseille auprès des travailleuses du sexe, ou de l’enquête SLAM, qui avait étudié le phénomène émergent du chemsex auprès des personnes concernées.

  • Les associations sont également en première ligne pour constater et réagir à des épidémies émergentes, comme le récent exemple du Mpox (Monkeypox) l’a encore démontré. Leur rôle d’observatoire des phénomènes infectieux et des pratiques émergentes au plus près des populations est crucial.
  • Le rapport étroit que les associations entretiennent avec la surveillance épidémiologique leur a permis de développer une expertise et d’organiser des espaces de réflexions inter-associatifs.

Depuis fin 2022, l’amélioration de la surveillance épidémiologique du VIH, des hépatites virales et des IST a intégré les plaidoyers portés par le TRT-5 CHV. Au 1er décembre 2022 le TRT-5 CHV lançait un communiqué de presse sur « Une épidémie sous faible surveillance » en réponse aux alertes lancées par Santé Publique France. En février 2023 le collectif créait un groupe de travail interne sur le sujet. Ce groupe de travail a donné lieu à divers échanges avec les autres acteurs impliqués dans l’activité de surveillance (chercheurs-euses, épidémiologistes, biologistes, acteurs-trices institutionnels-les, experts-es).

Le TRT-5 CHV a porté un intérêt particulier à la surveillance issue des laboratoires de biologie médicale qui fait l’objet de travaux pilotés par la Direction Générale de la Santé (DGS) à travers l’élaboration d’un projet de système de transmission des données automatique basé sur le modèle SI-DEP, nommé Laboé-Si.

Parallèlement, le TRT-5 CHV a décidé de consacrer sa Journée Scientifique 2023 au thème « Données de recherche, recherche de données » dont la session 1 sera consacrée aux données épidémiologiques.

  • Le TRT-5 CHV et ses associations membres contribuent aux échanges portés par diverses instances et émettent des recommandations visant l’amélioration de la surveillance épidémiologique
Instance /MissionStructure représentéeApport
Rapports d’experts-esTRT-5 CHV2022-2023 : contribution à la partie « Surveillance épidémiologique » du Rapport d’experts-es à paraître
Action coordonnée « Modélisation », ANRS-MIETRT-5 CHVDepuis 2023, participation aux réunions de l’AC, dans la continuité de la représentation inter-associative au sein de l’AC 47 « Dynamique et contrôle des épidémies VIH et hépatites »
Rapport Igas sur L’Organisation des structures de prévention et de prise en charge en santé sexuelleAIDESAuditions
Le Comité de Veille et d’Anticipation des Risques Sanitaires (COVARS) 2 sièges de représentants des patientsTravaux en cours sur l’interconnexion des bases de données

Les associations membres du TRT-5 CHV :

ACTIF SANTE- ACTIONS TRAITEMENTS– ACT UP PARIS– ACT UP SUD OUEST – AIDES – ARCAT – ASUD –COMITE DES FAMILLES –HEPATITES INFO SERVICE/ SIDA INFO SERVICE – SOL EN SI


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