De nombreuses études ont révélé que les personnes vivant avec le VIH courent un risque accru de maladies cardiovasculaires, notamment de crise cardiaque et d’AVC. Ce risque accru est causé en partie par l’infection chronique au VIH, laquelle provoque de l’inflammation et la suractivation du système immunitaire. Le VIH entraîne aussi des changements défavorables dans les taux de cholestérol. Notons de plus que certaines personnes séropositives présentent des facteurs de risque de maladies cardiovasculaires additionnels, dont le tabagisme, le diabète, l’usage de drogues, le surpoids et l’activité physique insuffisante.
Traitement du VIH
Lorsqu’ils sont utilisés comme il se doit, les traitements contre le VIH (également appelés traitements antirétroviraux ou TAR) réduisent la quantité de VIH dans le sang de la vaste majorité des personnes traitées. Si l’observance thérapeutique est maintenue, la charge virale diminue jusqu’à un niveau tellement faible qu’elle n’est plus détectable par les tests de laboratoire de routine; un tel niveau de virus est couramment qualifié d’« indétectable ». Lors d’une étude, l’interruption du traitement du VIH a entraîné une augmentation de la quantité de VIH et, plus particulièrement, de l’inflammation chez les participant·e·s, ce qui faisait augmenter leur risque de crise cardiaque et d’AVC.
Même si l’inhibition du VIH grâce à l’atteinte et au maintien d’une charge virale indétectable est bénéfique pour la santé des personnes séropositives, elle ne suffit pas à normaliser l’inflammation et l’activation immunitaire attribuables au VIH. Depuis une décennie, des équipes de recherche mettent à l’épreuve différentes interventions dans l’espoir d’atténuer ces deux problèmes. Or, aucune de ces interventions ne s’est montrée capable de réduire le risque de crise cardiaque et d’AVC chez un grand nombre de personnes séropositives.
Une étude du nom de Reprieve vient de changer cela.
Étude Reprieve
Dans le cadre de l’étude Reprieve, une équipe d’infirmier·ère·s a réparti au hasard 7 769 personnes séropositives, dont toutes vivaient avec une maladie cardiovasculaire légère ou modérée, pour recevoir soit la pitavastatine (4 mg), soit un placebo, une fois par jour. Tou·te·s les participant·e·s suivaient un TAR, et la charge virale était indétectable chez la majorité (88 %) au début de l’étude. Membre d’une famille de médicaments appelés couramment « statines », la pitavastatine aide à réduire le taux de cholestérol.
Après une période de suivi moyenne de cinq ans, on a mis fin à l’étude parce que la pitavastatine avait fait la preuve de son efficacité, soit une réduction de 35 % du risque de maladies cardiovasculaires.
L’étude Reprieve met en évidence l’importance de l’inhibition virale associée à une médication hypocholestérolémiante (qui réduit le cholestérol) pour les personnes séropositives courant un risque léger ou modéré de maladies cardiovasculaires. Compte tenu de ces résultats, il est probable que les médecins proposeront une statine à davantage de personnes séropositives.
Détails de l’étude
L’équipe de recherche a inscrit des participant·e·s du Canada, des États-Unis, de l’Amérique du Sud, de certains pays de l’Afrique subsaharienne, de l’Inde, de l’Espagne et de la Thaïlande entre mars 2015 et juillet 2019.
Les participant·e·s avaient le profil moyen suivant au début de l’étude :
- âge : 50 ans
- sexe : 69 % d’hommes, 31 % de femmes
- identité de genre : 95 % de personnes cisgenres, 2 % de personnes transgenres (la somme n’est pas 100 parce que les données sont incomplètes)
- principaux groupes ethnoraciaux : Noir·e·s – 41 %; Blanc·he·s – 35 %; Asiatiques – 15 %
- charge virale en VIH : indétectable chez 88 % des participant·e·s; inférieure à 400 copies/ml chez la majorité des autres
- risque de maladies cardiovasculaires de 15 % ou moins chez tous et toutes
Résultats
Après une période moyenne de cinq ans, l’équipe de recherche a constaté que la pitavastatine avait réduit considérablement le risque de crise cardiaque et d’AVC, soit de 35 % par rapport au placebo. La pitavastatine s’est révélée efficace chez un large éventail de personnes séropositives, sans égard au sexe, à l’âge, au groupe ethnoracial, à la charge virale ou au compte de cellules CD4+.
Chez les personnes utilisant la pitavastatine, les taux de cholestérol ont baissé comparativement aux personnes sous placebo.
Inflammation et activation immunitaire
Dans l’étude Reprieve, la pitavastatine s’est révélée plus efficace que prévu. Il est probable que les bienfaits constatés n’étaient pas attribuables aux seuls effets hypocholestérolémiants de la pitavastatine. D’autres études ont en effet révélé que les statines réduisaient également l’inflammation, ce qui peut contribuer à faire baisser le risque de maladies cardiovasculaires.
Lors d’une étude antérieure menée auprès de plus de 17 000 personnes séronégatives qui n’avaient pas de taux de cholestérol élevé (mais qui avaient un taux d’inflammation élevé), on a constaté qu’une autre statine appelée rosuvastatine (Crestor) réduisait sensiblement le risque d’évènements cardiovasculaires comparativement au placebo. L’étude en question portait fortement à croire que l’activité anti-inflammatoire de la rosuvastatine jouait un rôle dans l’amélioration de la santé des participant·e·s.
Lors d’études contrôlées contre placebo de plus faible envergure menées auprès de personnes séropositives, on a trouvé que la pitavastatine pouvait réduire considérablement les taux sanguins de protéines associées à l’inflammation et à l’activation immunitaire.
L’équipe Reprieve publiera des analyses détaillées des effets de la pitavastatine sur l’activation immunitaire et l’inflammation dans l’avenir.
Innocuité
Dans l’ensemble, la pitavastatine s’est révélée sécuritaire et bien tolérée. Les principaux effets indésirables étaient les suivants :
Diabète de type 2
Environ 5 % des personnes recevant la pitavastatine et 4 % des personnes sous placebo ont reçu un diagnostic de diabète de type 2 au cours de l’étude. Selon l’équipe de recherche, ces pourcentages sont comparables à ce qui s’observe chez la population séronégative moyenne des États-Unis dans le groupe des 45 à 65 ans.
Faiblesse et/ou douleur musculaire
Dans l’ensemble, 2 % des personnes recevant la pitavastatine et 1 % des personnes sous placebo ont éprouvé ce problème, lequel s’est révélé léger chez la plupart. Il n’empêche que trois personnes recevant la pitavastatine et une personne du groupe placebo ont éprouvé de la faiblesse et/ou de la douleur musculaire intenses.
Abandon prématuré de l’étude
Quoique ces cas étaient peu fréquents, des effets indésirables ont poussé des participant·e·s à quitter prématurément l’étude dans les proportions suivantes :
- pitavastatine : 2 %
- placebo : 1 %
Importance de Reprieve
L’étude Reprieve ouvre de nouveaux horizons. Elle indique que les personnes séropositives sous TAR qui courent un risque léger ou modéré de maladies cardiovasculaires peuvent bénéficier de l’utilisation de la pitavastatine. Grâce à Reprieve, il est probable que davantage de médecins proposeront désormais des statines à leurs patient·e·s vivant avec le VIH.
Accessibilité de la pitavastatine
La pitavastatine est approuvée dans l’Union européenne, au Royaume-Uni et aux États-Unis, mais elle n’est pas approuvée au Canada et dans d’autres pays. Le brevet se rapportant à la pitavastatine arrivera à échéance dans quelques années. Une fois le brevet échu, il est probable que des compagnies pharmaceutiques fabriqueront des versions génériques du médicament et qu’il sera accessible plus largement.
Avant la publication des résultats de l’étude Reprieve, il arrivait aux médecins du Canada et d’autres pays de prescrire des statines comme la rosuvastatine et l’atorvastatine (Lipitor) à des patient·e·s séropositif·ve·s présentant un taux de cholestérol élevé. Comme la pitavastatine n’est pas accessible dans tous les pays à l’heure actuelle, l’équipe de recherche de l’étude Reprieve a encouragé les médecins à envisager le recours à une autre statine pour ce genre de cas. Elle a toutefois souligné qu’il fallait prendre en considération les possibilités d’interactions avec le TAR avant de choisir la statine à prescrire.