Paul Chiasson Archives La Presse canadienne Lorsque la conférence s’est amorcée, en juillet dernier dans la métropole, des dizaines de délégués venant d’Afrique et d’Asie s’étaient vu refuser leur visa ou n’avaient jamais reçu de réponse à leur demande.
Dylan Robertson – La Presse canadienne à Ottawa
Près d’une personne sur six ayant participé l’an dernier à une importante conférence sur le sida à Montréal a demandé le statut de réfugié après l’événement, selon des documents internes obtenus par La Presse canadienne.
Les documents mettent également en lumière le fait qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a eu du mal à collaborer avec l’organisateur de l’événement, la Société internationale sur le sida, afin d’éviter un refus massif de visas.
Lorsque la conférence s’est amorcée à Montréal en juillet 2022, des dizaines de délégués venant d’Afrique et d’Asie s’étaient vu refuser leur visa ou n’avaient jamais reçu de réponse à leur demande. Sur scène, au Palais des congrès, des intervenants sont allés jusqu’à accuser Ottawa de racisme, affirmant même que les rassemblements internationaux ne devraient plus se tenir au Canada.
Les documents obtenus par La Presse canadienne en vertu de la Loi sur l’accès à l’information montrent que 1020 demandes de visa pour la conférence ont été rejetées, soit 36 % d’entre elles. Une autre série de 10 % n’avait toujours pas été traitée à la fin de l’événement.
Le Canada a finalement délivré 1638 visas pour la conférence. Les documents révèlent qu’au moins 251 personnes, soit environ 15 % des participants, ont demandé l’asile après être entrées au Canada.
Selon Robert Blanshay, un avocat de Toronto spécialisé dans les questions d’immigration, les congrès ou les événements sportifs sont l’une des rares occasions qui permettent à des personnes persécutées de venir au Canada en toute sécurité.
« Je ne suis pas du tout surpris qu’il y ait eu certains participants qui ont décidé de ne pas rentrer chez eux et qui ont plutôt demandé le statut de réfugié », a-t-il souligné.
« Tant mieux pour eux. Si c’était leur seule façon de demander l’asile dans un autre pays, alors ainsi soit-il. »
Processus complexe
En entrevue, Me Blanshay a rappelé qu’il n’est pas toujours simple d’obtenir un visa temporaire ou un statut de réfugié pour venir au Canada.
Les demandes de visa sont souvent refusées si un requérant ne fait pas la démonstration claire qu’il a des raisons de retourner dans son pays d’origine après son séjour en sol canadien, comme un emploi stable, des économies financières et des liens familiaux.
En vue de la conférence sur le sida, Ottawa a d’ailleurs rejeté 83,5 % des demandes de visa venant du Népal, 55,8 % de celles venant du Nigeria, 53,6 % de celles venant du Pakistan et plus de 40 % de celles venant du Cameroun, de la République démocratique du Congo, de l’Éthiopie et du Ghana.
Je ne suis pas du tout surpris qu’il y ait eu certains participants qui ont décidé de ne pas rentrer chez eux et qui ont plutôt demandé le statut de réfugié
— Robert Blanshay
Dans un rapport interne rédigé en novembre dernier pour évaluer la gestion de la conférence par le ministère de l’Immigration, on pouvait lire que la situation des visas a « mis en lumière le besoin d’avoir une meilleure coordination en vue des événements majeurs, en s’assurant que toutes les parties prenantes soient impliquées dès le départ et qu’elles restent en communication constante et détaillée ».
Le rapport a conclu qu’il y avait eu certaines lacunes dans la gestion du ministère, notamment un problème de système informatique qui a rendu difficile pour certains candidats d’inclure le code d’événement utilisé pour placer les participants à l’événement dans une base de données.
Faute partagée
Le rapport interne a cependant rejeté une bonne partie de la responsabilité sur les organisateurs de l’événement. La Presse canadienne a tenté d’obtenir la réaction de la Société internationale sur le sida, mais n’a pas obtenu de réponse avant de publier.
Six semaines avant la conférence, apprend-on dans le document, les organisateurs ont fourni une liste de 6609 participants, mais ont omis d’inclure des informations cruciales pour accompagner leurs demandes de visa, notamment les dates de naissance et les numéros de dossier.
Environ deux semaines plus tard, le ministère de l’Immigration a demandé de recevoir une liste de dignitaires prioritaires, ce par quoi les organisateurs ont répondu avec une liste de 4200 noms. Finalement, le ministère a réussi à obtenir une liste réduite de 150 participants prioritaires.
« Les organisateurs ont continuellement remis en question les refus, demandant des informations détaillées sur chaque cas », indique le rapport.
Pendant ce temps, même si une date limite pour les candidatures avait été fixée à deux semaines avant le début de l’événement, le ministère a continué à recevoir de nouvelles demandes quelques jours avant la conférence.
Au bout du compte, selon le rapport, les équipes du ministère ont été gênées par une augmentation du nombre d’événements spéciaux et « diverses autres priorités de traitement ». Ses auteurs ont suggéré que le ministère crée une équipe spécifiquement affectée aux événements spéciaux.
De son côté, le ministère a promis d’insister pour que les organisateurs fournissent des listes d’invités plus complètes, avec les numéros de demande de visa, deux mois avant les congrès.
Source AT