Confirmation de l’efficacité (modérée) du bulevirtide dans le traitement de l’hépatite Delta


Le virus de l’hépatite delta (VHD) est un virus à ARN défectif dont la réplication nécessite la présence de l’antigène de surface HBs (AgHBs) de l’hépatite B. On estime que l’infection à VHD touche entre 10 à 20 millions de personnes dans le monde et 5 à 10,6 % des porteurs du VHB ont aussi des anticorps anti-VHD. Cette co-infection concerne majoritairement, en France, les personnes originaires de pays à forte endémie (Afrique, Asie, Europe orientale et de l’Est). L’hépatite chronique D est marquée par une progression fréquente et plus rapide de la fibrose vers la cirrhose, ainsi que par un risque accru de survenue d’un carcinome hépatocellulaire. Le bulevirtide, lipoprotéine synthétique dérivée de la région pre-S1 de l’AgHBs, agit sur la toute première étape du cycle viral en bloquant l’entrée du VHB et du VHD dans les hépatocytes. Ce traitement, commercialisé en France, depuis 2021 sous le nom d’hepcludex, est actuellement envisagé comme traitement virosuppresseur administré au long cours associé à un analogue nucléot(s)idique, ou comme traitement d’éradication en combinaison avec l’IFN-PEG en cas de fibrose >F2 avec cytolyse persistance depuis au moins 6 mois. Déterminer précisément la posologie ayant le meilleur rapport bénéfice/risque est l’objet d’un essai multicentrique rapporté dans le New England Journal of Medecine.

Amélioration des taux d’ARN du VHD et d’ALAT sous bulévirtide

Dans cet essai  multicentrique, ouvert et randomisé de phase 3 en cours, qui comprend 144 semaines de traitement et 96 semaines de suivi post-traitement, l’efficacité et l’innocuité du bulévirtide en monothérapie ont été évaluées chez les patients atteints d’hépatite D chronique à S48. Le critère principal concernait la réponse virologique et biochimique combinée, jugée sur des taux indétectables d’ARN du VHD ou leur baisse >2 logUI/ml et la normalisation des transaminases ALAT, à la semaine 48. Après stratification selon la présence ou l’absence de cirrhose, les patients ont reçu un traitement sous-cutané par bulévirtide à 2 mg par jour (une injection ; groupe 2 mg) ou 10 mg par jour (deux injections ; groupe 10 mg) pendant 144 semaines ou n’ont eu aucun traitement pendant 48 semaines puis un traitement sous-cutané par le bulévirtide à 10 mg par jour pendant 96 semaines (groupe témoin). Tous les patients sont entrés dans une période de suivi de 96 semaines à la fin de la période de traitement. Au total, 49 patients ont été affectés au groupe 2 mg, 50 au groupe 10 mg et 51 au groupe témoin. Une réponse dans le critère principal est survenue chez 45 % des patients du groupe 2 mg, 48 % du groupe 10 mg et 2 % du groupe témoin (P < 0,001). Le niveau d’ARN du VHD à la semaine 48 était indétectable chez 12 % des patients du groupe 2 mg et chez 20 % du groupe 10 mg (P = 0,41). Le taux d’ALAT s’est normalisé chez 12 % des patients du groupe témoin, 51 % dans le groupe 2 mg et 56 % dans le groupe groupe 10 mg. La perte de l’AgHBs ou la diminution de son taux d’au moins 1 log10 UI/ml ne se sont pas produits dans les groupes bulevirtide à la semaine 48. Les effets secondaires, céphalées, prurit (14 %), fatigue, éosinophilie, réactions au site d’injection, douleurs abdominales hautes, arthralgies et asthénie étaient plus fréquents dans les groupes traités. Aucun événement indésirable grave lié au traitement n’est survenu. Des augmentations dose-dépendantes des taux d’acides biliaires ont été notées dans les groupes 2 mg et 10 mg.

Cette nouvelle étude multicentrique confirme l’efficacité modérée du bulevirtide dans l’hépatite chronique Delta fibrosante à S48, malgré les limites concernant la population blanche et l’absence de génotypage de chacun des 2 virus. Parmi les patients ayant une réponse combinée virologique et biochimique, la normalisation du niveau d’ALAT s’est produite chez la plupart à la semaine 24, tandis que le niveau d’ARN du VHD a continué à diminuer entre la semaine 24 et la semaine 48 sans changement significatif pour l’l’AgHBs. L’essai actuel se poursuit pour évaluer l’efficacité, l’innocuité et le profil d’effets secondaires à long terme (jusqu’à 3 ans ou 144 semaines). Le choix de la posologie reste actuellement débattu avec une amélioration des résultats virologiques, du fibroscan et de l’histologie similaires à S48 dans les sous-groupes traités. Ces résultats suggèrent, comme d’autres travaux, qu’une dose de bulevirtide de 2 mg peut être suffisante pour bloquer l’entrée du VHD dans les hépatocytes infectés par le VHB.

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A combiner, peut-être, avec le peg interféron

Le challenger actuel, l’IFN-PEG, de son côté possède un effet antiviral et s’accompagne d’une réponse immunitaire efficace avec clairance des hépatocytes infectés. Une séroconversion HBs peut alors survenir (avec négativation de l’AgHBs et apparition des anticorps anti-HBs) et acter une guérison complète des 2 virus. L’objectif de l’utilisation de l’interféron sur 48 semaines, est d’obtenir une virémie VHD indétectable par PCR 24 semaines après la fin du traitement. Ce résultat est obtenu dans environ 20 à 25 % des cas sachant que des récidives tardives impliquent une surveillance sur plusieurs années et que ses effets secondaires sont redoutés. L’avenir réside donc dans les traitements combinés associant IFN-PEG et bulevirtide : l’étude MYR203 de 60 patients a montré une diminution de l’ARN du VHD de 4,81 log à S48 et de 4,04 log 24 semaines après son arrêt, associé à une indétectabilité de l’ARN VHD et une normalisation des ALAT respectivement dans 50 et 47 % des cas associé à une diminution de l’Ag HBs quantitatif d’au moins un log chez 40 % des patients. La posologie, la durée idéale et l’association du bulevirtide avec l’interféron nécessitent la poursuite des investigations dans le cadre d’études en cours (MYR 204, cohorte ANRS HD EP01 BuleDelta). L’objectif final reste la guérison de l’hépatite Delta, confirmée par l’absence de virémie 6 mois après l’arrêt du traitement. La combinaison bulevirtide/IFN-PEG ayant des effets synergiques mérite d’être actuellement proposée en 1ere intention en l’absence de cirrhose décompensée et malgré les effets délétères sur la qualité de vie des patients.

En conclusion, cette étude multicentrique confirme l’efficacité du bulevirtide après 48 semaines de traitement : les taux d’ARN du VHD et d’ALAT sont améliorés chez les patients atteints d’hépatite D chronique avec des effets secondaires acceptables. Aucun effet significatif n’est noté sur le VHB traité classiquement par les analogues nucléos(t)idiques. Elle conforte donc l’obtention de l’AMM européenne qui permet l’utilisation actuelle de ce traitement en France à la dose de 2 mg/jr, alors qu’il n’est pas agréé par la FDA. Enfin, plusieurs études sont en cours pour évaluer plus précisément les modalités de l’association IFN-PEG et bulevirtide afin d’obtenir l’éradication complète du VHD.

Dr Sylvain Beorchia


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