Le 20 mai 1983, trois chercheurs français découvraient le VIH. Quarante ans plus tard, il n’existe toujours pas de vaccin pour éradiquer le virus.
Le monde pourra-t-il un jour tourner la page du VIH ? Depuis la découverte du virus responsable du sida, le 20 mai 1983, les scientifiques sont toujours à la recherche d’un vaccin efficace pour en venir à bout. Car si en quatre décennies, le quotidien des malades s’est considérablement amélioré grâce aux trithérapies et à la PrEP, traitement préventif qui empêche le VIH d’entrer dans le corps, aucun vaccin efficace n’a encore été trouvé.
Un « grand regret », explique Françoise Barré-Sinoussi, l’une des chercheuses qui a découvert le VIH et prix Nobel de médecine, dans une vidéo publiée par l’Institut Pasteur mardi. « J’aurais adoré quitter ce monde en me disant que le VIH était éradiqué. » C’est encore loin d’être le cas : en 2021, l’ONU recensait 38,4 millions de personnes vivant avec le virus à travers le monde.
Un virus aux nombreuses mutations
Comment expliquer que cette quête soit si fastidieuse ? Tout d’abord, le VIH dispose d’une très forte capacité de mutation, ce qui lui permet d’échapper à un éventuel vaccin. « Le nombre de variants est incomparable avec celui des variants du Sars-CoV-2, il est largement supérieur », explique Michaela Müller-Trutwin, responsable de l’unité VIH à l’Institut Pasteur dans Transversal, magazine spécialisé édité par le Sidaction. « Un seul patient infecté peut être porteur de millions de variants différents, soit davantage que la diversité générée au cours d’une épidémie mondiale de grippe. Or cette dernière nécessite l’élaboration d’un nouveau vaccin chaque année », abonde Jean-Daniel Lelièvre, spécialiste de la vaccination et chef de service des maladies infectieuses de l’hôpital Henri-Mondor à Créteil (Val-de-Marne), dans The Conversation.
Contrairement au cas du Sars-CoV-2 ou à celui d’autres agents pathogènes pour lesquelles il existe un vaccin, le corps humain est incapable de produire seul des anticorps permettant de neutraliser le VIH. Impossible donc de guérir de la maladie de manière naturelle. Les trois seuls cas de rémission recensés jusqu’à aujourd’hui concernent des personnes qui ont bénéficié d’une greffe de mœlle osseuse. Cette spécificité rend la tâche ardue aux chercheurs, qui doivent « trouver une parade pour amener notre immunité à mobiliser ses troupes et parvenir à combattre tout de même efficacement le VIH, ce qui demande du temps », explique Jean-Daniel Lelièvre à Transversal.
Toutefois, au cours de ces années, de nombreuses pistes ont été explorées. Par exemple, en 2009, un vaccin préventif a été testé. Bien que prometteur, celui-ci n’était efficace qu’à 30%, soulignait le professeur Yves Lévy, directeur de l’institut de recherche vaccinale (VIR), auprès de franceinfo, début 2021. Un essai clinique mené en Afrique sub-saharienne par le laboratoire Johnson & Johnson avait été stoppé la même année, faute de résultats concluants. Nommé Imbokodo, ce vaccin avait été testé à partir de 2017 auprès d’environ 2 600 jeunes femmes du Malawi, du Mozambique, de Zambie, d’Afrique du Sud et du Zimbabwe, où le VIH circule particulièrement. Les résultats avaient montré une efficacité à 25%, soit un résultat moindre que pour le vaccin testé en 2009.
Un candidat vaccin français regardé de près
Ces échecs ont permis aux chercheurs de mieux connaître le virus et d’élaborer une nouvelle stratégie pour le combattre. En février 2023, l’agence nationale des recherches sur le sida (ANRS) et l’Inserm ont publié les résultats très encourageants d’un candidat vaccin français, à l’issue d’un essai préliminaire, dit de « phase 1 », mené sur un échantillon de 36 personnes en bonne santé. « Le vaccin a montré à la fois sa sécurité et sa capacité à induire des réponses précoces, puissantes et durables », s’est félicité Yves Lévy auprès de l’ANRS.
Outre les résultats, c’est sa stratégie qui est scrutée par les scientifiques. Ce vaccin préventif contre le VIH est en effet le premier à s’appuyer sur les cellules dendritiques, ces cellules sentinelles présentes dans tout l’organisme et capables de déclencher une réponse immunitaire. Un mode de fonctionnement qui présente plusieurs avantages : « D’abord, on cible les bonnes cellules, ensuite, on choisit des fragments du virus, en l’occurrence l’enveloppe du VIH qui lui permet d’entrer dans l’organisme. Troisième avantage, on stimule la cellule dendritique, donc l’immunité. Enfin, comme on cible les bons fragments et la bonne cellule, on n’a pas besoin d’une grande quantité de vaccin », expliquait le professeur Yves Lévy à franceinfo en février 2021.
Les chercheurs restent toutefois prudents. « C’est une nouvelle stratégie et il faut donc attendre de voir ce que ça va donner », notait Jennifer Pasquier, directrice scientifique du Sidaction, en mars sur France Inter. En outre, tel qu’il existe actuellement, ce vaccin « n’est possiblement pas » celui « qui permettra de nous protéger contre l’infection. Le type de protéine qui a été appliqué n’est peut-être pas celui qui est optimal pour un vaccin contre le VIH », nuançait au même moment Jean-Daniel Lelièvre, auprès de Libération (article réservé aux abonnés). Car pour l’heure, la préparation testée ne l’a été que sur un isolat (groupe) du virus. Après cette première étape, « il faudra étendre les observations avec d’autres isolats de VIH pour voir si les anticorps produits possèdent un pouvoir neutralisant à large spectre », explique, toujours à Libération, Olivier Schwartz, directeur de l’unité virus et immunité de l’Institut Pasteur.