TÉMOIGNAGE. « Mon amie a eu une réaction de rejet » : 40 ans après la découverte du Sida, les préjugés persistent


Le virus responsable du Sida a été découvert le 20 mai 1983. Quarante ans plus tard, le regard de la société sur les personnes séropositives évolue dans le bon sens. Pour autant, certaines souffrent encore de rejet ou de la peur.

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Laura Lavenne – franceinfo – Sandrine Etoa-Andegue

Radio France

Le ruban rouge, symbole de la lutte contre le Sida. (PRAKASH MATHEMA / AFP)

Depuis 38 ans, Anne vit avec le VIH. « Et je vais très bien », dit-elle avec le sourire. En décembre 1985, à 21 ans, victime du scandale du sang contaminé, elle apprend la nouvelle par un coup de fil sur son lieu de stage : « Je suis allée dans les toilettes, j’ai pleuré pendant une demi-heure et j’ai décidé que je n’aurais jamais d’enfant parce que je ne voulais contaminer un enfant ou qu’un enfant perde sa maman ». Cette passionnée de théâtre et de cinéma est toujours très entourée par sa famille, ses amis, très investie à l’association Aides, et dans son travail de chercheuse. Grâce au traitement, Anne n’est plus contaminante, bien que séropositive.

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Le dire ou pas ? Anne s’est posé cette question tout au long sa vie : « En 1985, il n’y a que mes parents qui savaient parce que je ne voulais pas que le reste de ma famille change son regard sur moi.«  Les autres membres de famille ont finalement appris qu’elle était séropositive neuf ans après, « quand j’ai été vraiment malade », précise-t-elle. Anne a réussi le concours d’entrée au  Centre national de la recherche scientifique (CNRS). « Ensuite, il y a eu une visite médicale et là, je ne l’ai pas dit, raconte-t-elle. Parce que c’était en 1993, en pleine épidémie, les trithérapies n’étaient pas encore arrivées, tout le monde mourrait … Je ne voulais absolument pas que ça joue sur mon travail que je trouvais passionnant. Et dans les années 2000, je l’ai dit. »

Encore beaucoup de discriminations et de préjugés 

Elle a été transparente avec sa banque. Mais 20 ans plus tard, Anne a des doutes sur ce prêt pour un appartement qui lui a subitement été refusé. « Exactement ! Et aussi avec les mecs. Ça a été dur. Plusieurs sont partis quand ils l’ont su. Je me mettais un peu à leur place et je les comprenais« , confie-t-elle. Puis avec le temps, elle a « un peu renoncé » à avoir une vie sentimentale. « J’ai appris à me satisfaire toute seule, très très bien. Je suis encore épanouie sexuellement. »

Si elle rencontrait quelqu’un aujourd’hui, elle ne lui dirait « pas de tout de suite » qu’elle est séropositive parce qu’« il n’y a aucun risque pour mon partenaire ». Aucun risque tout court, mais les préjugés sont tenaces. « J’ai un exemple très récent, raconte-t-elle. J’ai mis les doigts sur les lèvres du bébé d’une amie et elle a eu une réaction de rejet. Elle m’a dit ‘attention’ ». Anne lui a expliqué qu’elle n’était pas contaminante pourtant. Elle le déplore mais ces réactions font partie de son quotidien.

« Mon amie est scientifique, mais elle a eu peur pour son bébé. Ça me sidère. »Anne

à franceinfo

En 2023, on ne guérit toujours pas du Sida mais on vit avec, presque normalement, sans transmettre le virus grâce aux traitements. C’est là-dessus que les plus gros progrès ont été faits. Les traitements antirétroviraux sont moins lourds : un comprimé par jour aujourd’hui, jusqu’à 16 au début des années 2000. Mais même s’ils sont moins lourds, plus simples, ils sont à prendre à vie, au quotidien. C’est le seul moyen de réduire la charge virale, de faire en sorte que la personne séropositive devienne non contaminante. Tant qu’elle est traitée et tant qu’elle est traitée tôt, il n’y a aucun risque pour ses partenaires sexuels, aucun risque non plus pour le bébé en cas de grossesse chez la femme. Disons qu’on neutralise d’une certaine façon le VIH, sans que l’on puisse à ce jour l’éliminer de l’organisme.

À la recherche d’un vaccin pour guérir 

Trouver un vaccin est la priorité absolue. Soixante-douze hommes participent actuellement à un essai, lancé par l’Institut de recherche vaccinale (IRV) français. Il a récemment montré que le vaccin est bien toléré, mais son efficacité clinique reste à prouver. « Malheureusement, on en est maintenant au même niveau qu’au départ, c’est-à-dire qu’on n’a toujours pas de vaccin contre le VIH, mais on reste optimiste », déclare le professeur Jean Daniel Lelièvre, responsable du département de recherche clinique à l’IRV.

>> Sida : quarante ans après la découverte du virus responsable de la maladie, où en est la recherche d’un vaccin ?

En revanche, ajoute-t-il, « on est moins optimistes sur le délai parce qu’on a un candidat vaccin qui avait montré une efficacité à 30% et on est revenu à des phases très préliminaires du développement.

« Cela ne veut pas dire qu’on n’a pas avancé sur les dernières années, mais il est peu probable qu’on ait un vaccin sur le marché avant au moins dix ans. »Daniel Lelièvre, responsable du département de recherche clinique à l’IRV

à franceinfo

En attendant, en matière de prévention notamment, la PrEP, le traitement préventif qui permet aux personnes à risque d’éviter l’infection, reste la solution la plus efficace avec le préservatif. Selon Santé Publique France, 180 000 personnes vivent avec le VIH, et 86% connaissent leur séropositivité. « On dénombre encore 5 000 découvertes de séropositivité chaque année en France », déplorait sur franceinfo Florence Thune, directrice générale de Sidaction, qui estime qu’on « est encore face à plusieurs années de recherche » avant de trouver un vaccin.


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