Étude sur des interventions visant la fin de l’épidémie de syphilis chez les hommes gbHARSAH


Le nombre de nouveaux diagnostics de syphilis ne cesse d’augmenter depuis plus de 20 ans, de sorte qu’il sévit actuellement une épidémie de cette maladie au Canada. Le premier symptôme de la syphilis, soit l’apparition d’une lésion (chancre) sur ou dans les organes génitaux, la bouche ou d’autres parties du corps, peut être indolore et passer inaperçu. Les microbes qui causent la syphilis s’appellent des tréponèmes et peuvent se propager rapidement à partir du site du premier contact. Les tréponèmes peuvent s’attaquer aux nerfs des oreilles et des yeux et causer la surdité ou la cécité. Avec le temps, des lésions risquent d’apparaître dans divers organes vitaux, dont le cerveau, les os, le cœur et le système circulatoire, le foie et les reins. La syphilis peut également nuire au fœtus durant la grossesse. Même si les symptômes de la syphilis ressemblent souvent à ceux de nombreuses autres maladies, le diagnostic se fait facilement à l’aide d’un simple test sanguin. La plupart des personnes atteintes se remettent de la syphilis grâce à un seul cycle de traitement antibiotique.

La doxycycline après l’exposition sexuelle

À San Francisco, on a mené un essai clinique rigoureux auprès d’hommes gbHARSAH et de femmes transgenres traités par l’antibiotique doxycycline. L’équipe en question a constaté que la prise de 200 mg de ce médicament dans les 72 heures suivant une exposition sexuelle réduisait considérablement le risque de chlamydiose, de gonorrhée et de syphilis. Lorsque la doxycycline est utilisée de cette manière, on parle de doxy-PPE (c’est-à-dire une prophylaxie post-exposition à la doxycycline). À la lumière des résultats de cette étude et d’autres, les autorités de la santé publique encouragent de plus en plus les professionnel·le·s de la santé à envisager de prescrire la doxy-PPE aux hommes gbHARSAH sexuellement actifs.

Prophylaxie pré-exposition au VIH

L’une des pierres angulaires de la prévention du VIH réside dans la prise d’une association de médicaments (ténofovir + FTC), le plus souvent une fois par jour, avant toute exposition sexuelle éventuelle au virus. Lorsqu’on utilise des médicaments de cette manière, il s’agit d’une prophylaxie pré-exposition au VIH ou PrEP. Des essais cliniques ont révélé que la PrEP était efficace à plus de 99 % comme moyen de réduire le risque d’infection par le VIH. Dans les programmes offrant la PrEP, on effectue des tests de dépistage du VIH et d’autres infections transmissibles sexuellement (ITS) avant de commencer la médication et à intervalles réguliers par la suite, d’ordinaire tous les trois mois. En Colombie-Britannique, l’accès à la PrEP est subventionné par le ministère de la Santé.

Étude sur la syphilis en Colombie-Britannique

Des scientifiques en Colombie-Britannique sont en train d’étudier l’épidémie de syphilis qui sévit dans cette province. L’équipe a accumulé des données sur l’incidence du dépistage et du traitement de la syphilis, et plus particulièrement parmi les hommes gbHARSAH. Une équipe de recherche affiliée au Centre d’excellence sur le VIH/sida de la Colombie-Britannique, au B.C. Centre for Disease Control (BCCDC), à l’Université de la Colombie-Britannique et à l’Université York à Toronto a utilisé ces données pour créer un modèle informatique permettant de simuler l’évolution de l’épidémie de syphilis. Utilisant ce modèle, l’équipe a estimé l’incidence de diverses interventions, ainsi que d’aucune intervention, sur l’épidémie de syphilis au sein de différents sous-groupes d’hommes gbHARSAH en Colombie-Britannique. L’équipe s’est concentrée sur les quatre sous-groupes suivants :

  1. hommes séronégatifs ou ignorant leur statut VIH auxquels la PrEP n’avait pas été recommandée
  2. hommes séronégatifs ou ignorant leur statut VIH auxquels la PrEP avait été recommandée mais qui ne la prenaient pas
  3. hommes séronégatifs sous PrEP
  4. hommes ayant reçu un diagnostic de VIH

Se servant de son modèle, l’équipe de recherche a simulé l’effet de divers facteurs susceptibles d’influer sur l’épidémie de syphilis, dont les suivants :

  • fréquence des tests de dépistage de la syphilis
  • usage de doxy-PPE
  • usage de PrEP (rappelons que les personnes sous PrEP sont censées passer des tests de dépistage de la syphilis et d’autres ITS tous les trois mois)

L’équipe a utilisé son modèle informatique pour simuler l’évolution de l’épidémie de syphilis jusqu’en 2034.

Résultats

Selon les prévisions générées par la simulation, si davantage d’hommes gbHARSAH avaient recours à la PrEP dans les prochaines années, le dépistage régulier de la syphilis qui fait partie de cette intervention aiderait à réduire la propagation de cette maladie d’environ 50 % à long terme. De fait, selon l’équipe de recherche, sans le déploiement continu de la PrEP, les nouveaux cas de syphilis augmenteraient de près de 170 % chez les hommes gbHARSAH d’ici 2034.

L’équipe de recherche a constaté qu’une combinaison d’interventions serait idéale pour les sous-groupes évalués. Les interventions en question incluraient une augmentation générale de la fréquence des dépistages de la syphilis et de l’utilisation de la doxy-PPE.

À la lumière des résultats de la simulation, l’équipe de recherche a déterminé que la priorité des services de santé sexuelle devrait être accordée en premier au sous-groupe 2, soit les hommes gbHARSAH séronégatifs ou ignorant leur statut VIH auxquels la PrEP a été recommandée mais qui ne s’en servent pas. Comme l’équipe visait surtout à freiner la propagation de la syphilis, elle recommandait prioritairement des tests de dépistage plus fréquents et le déploiement de la doxy-PPE. Il semblerait cependant logique d’offrir à cette population l’accès aux programmes de PrEP une fois le dépistage et le traitement (le cas échéant) de la syphilis terminés.

L’équipe de recherche a signalé ensuite le sous-groupe 3, soit celui des hommes gbHARSAH séronégatifs sous PrEP. Comme ces hommes passent déjà fréquemment des tests de dépistage de la syphilis, soit tous les trois mois, aucun changement ne serait nécessaire à cet égard. L’équipe de recherche a toutefois recommandé le déploiement de la doxy-PPE auprès de ce groupe. Quant au sous-groupe 4, soit les hommes séropositifs, ils seraient encouragés à se faire tester plus fréquemment pour la syphilis et à utiliser la doxy-PPE selon leurs besoins.

Éliminer la syphilis comme problème de santé parmi les hommes gbHARSAH en Colombie-Britannique

De façon générale, pour mettre fin à la syphilis comme menace pour la santé des hommes gbHARSAH, l’équipe de recherche a souligné la nécessité de dépistages plus fréquents de la syphilis et le déploiement de la doxy-PPE au sein de divers sous-groupes d’hommes gbHARSAH. Si ces interventions étaient offertes à plus grande échelle, la simulation informatique prévoyait qu’il serait possible d’éliminer la syphilis comme menace pour la santé des hommes gbHARSAH en Colombie-Britannique d’ici 2034.

Accroître la fréquence des dépistages de la syphilis

Les données provenant de la Colombie-Britannique laissent croire que les taux de dépistage de la syphilis ne sont pas toujours optimaux. À titre d’exemple, notons qu’en 2019, les hommes gbHARSAH du groupe 1 (hommes séronégatifs ou ignorant leur statut VIH auxquels la PrEP n’avait pas été recommandée) se faisaient tester pour la syphilis tous les neuf mois en moyenne. Dans le groupe 2 (hommes séronégatifs ou ignorant leur statut VIH auxquels la PrEP avait été recommandée qui ne l’utilisaient pas), les tests avaient également lieu tous les neuf mois environ. Même parmi les hommes gbHARSAH séronégatifs sous PrEP, la fréquence des dépistages était sous-optimale, soit tous les 4,7 mois. Quant aux hommes séropositifs, ils se faisaient tester pour la syphilis tous les six mois en moyenne. Ces résultats semblent donc révéler qu’il sera nécessaire d’accroître la fréquence des dépistages de la syphilis dans tous les sous-groupes d’hommes gbHARSAH.

L’équipe de recherche a recommandé que les interventions suivantes soient envisagées pour aider certains sous-groupes qui ne se font pas tester fréquemment pour la syphilis :

  • utilisation accrue du service de dépistage d’ITS en ligne (GetChecked Online) offert par le BCCDC
  • déploiement de trousses de dépistage permettant de tester rapidement des gens pour le VIH et la syphilis en même temps
  • campagnes pour encourager des hommes gbHARSAH susceptibles de bénéficier de la PrEP à s’inscrire à un programme offrant l’accès à celle-ci, ainsi que des tests de dépistage de la syphilis

Selon l’équipe de recherche, la promotion du dépistage plus fréquent de la syphilis et l’utilisation de la doxy-PPE pourraient réduire encore le nombre de nouveaux cas de syphilis.

L’équipe de recherche a souligné que des lignes directrices sur l’utilisation de la doxy-PPE ont été élaborées par le San Francisco Department of Public Health et l’Australian Society for HIV, Viral Hepatitis and Sexual Health Medicine. L’équipe a également trouvé encourageant que les données recueillies à ce jour laissent croire que les microbes responsables de la syphilis (Treponema pallidum) sont peu susceptibles d’acquérir une résistance à la doxycycline. Elle a toutefois souligné qu’un suivi à long terme des personnes sous doxy-PPE était nécessaire pour déterminer si les principales ITS pouvaient y devenir résistantes.

Même si cette simulation a exploré spécifiquement l’effet de la doxy-PPE sur l’épidémie de syphilis, l’usage de cet antibiotique aurait probablement d’autres bienfaits aussi, soit une réduction des risques d’infection par les microbes responsables de la chlamydiose et de la gonorrhée.

À retenir

Il importe de souligner qu’aucune simulation informatique de la réalité n’est parfaite, et celle dont il est question ici pourrait être améliorée. À titre d’exemple, notons que cette équipe de recherche a reconnu que certains facteurs psychosociaux contribuaient à alimenter l’épidémie de syphilis parmi les hommes gbHARSAH, dont les suivants :

  • problèmes de santé mentale
  • usage de substances
  • violence
  • discrimination
  • stigmatisation

Malheureusement, l’équipe ne disposait pas de données à propos de ces facteurs pour inclure dans sa simulation.

Malgré cette lacune, le travail effectué par cette équipe de scientifiques est encourageant. Ses résultats indiquent qu’il est peut-être possible de réduire le nombre de nouveaux cas de syphilis et de mettre fin à cette épidémie comme menace pour la santé des hommes gbHARSAH. Pour accomplir cet objectif, la Colombie-Britannique devra déployer plus de ressources dans les programmes de santé publique et de santé sexuelle. Les autres villes et régions du Canada et d’autres pays à revenu élevé seront peut-être en mesure de développer les idées présentées par cette équipe et modéliser la manière d’endiguer l’épidémie de syphilis et d’avancer espérons-le vers son élimination chez les hommes gbHARSAH. Le déploiement de la doxy-PPE et l’inscription de davantage hommes gbHARSAH aux programmes de PrEP auront tous deux un rôle à jouer pour vaincre la syphilis.

—Sean R. Hosein


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